Le cessez-le-feu annoncé le 3 mars par le président angolais (faisant office de médiateur désigné par l’Union africaine) et devant entrer en vigueur quatre jours plus tard (le 7), n’a pas fait long feu. En revanche, le M23 a depuis intensifié ses opérations, menaçant la cité de Sake à une trentaine de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. Et le jour-même de l’arrivée dans la ville de la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU, des centaines de familles fuyant les combats sont arrivées à Goma, s’ajoutant aux milliers d’autres qui les y avaient précédés.
Après l’Ouganda dont l’armée collabore avec les Forces armées de la RDC dans la traque, ainsi que le Kenya et le Burundi qui ont déployé leurs unités combattantes dans le cadre de la Force régionale de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), c’est au tour de l’Angola de rejoindre cette dynamique. S’il n’est pas membre de l’EAC, l’Angola a néanmoins levé l’option de mobiliser ses troupes dans l’Est de la RDC, théâtre d’une flambée de violence depuis que « les terroristes » du M23 ont repris les armes fin 2021, s’emparant de pans entiers de la province du Nord-Kivu.
« […] Après consultation des autorités de la République Démocratique du Congo, la République d’Angola enverra une unité du contingent de soutien aux opérations de maintien de la paix des forces armées angolaises. Ladite unité a pour objectifs de sécuriser les zones de cantonnement des éléments du M23 et de protéger les membres du Mécanisme de vérification […] La République d’Angola a pris l’initiative d’informer les dirigeants de la région de cette consultation, dans le cadre de la coordination entre les processus de Luanda et de Nairobi, ainsi que l’ONU, l’UA, et la Communauté des Etats de l’Afrique centrale. Le Président demandera l’autorisation compétente de l’assemblée nationale pour effet».
Le communiqué de la présidence angolaise, rendu public ce 11 mars en a surpris plus d’un à Kinshasa et ailleurs en République démocratique du Congo, voire des observateurs étrangers. Pourtant, il y a des signes qui ne trompent pas. La chronologie des événements de la dernière semaine sont révélateurs du projet angolais d’envoyer des troupes au Nord-Kivu.
En effet, la visite-éclair du président français Emmanuel Macron à Luanda a coïncidé avec la présence dans la capitale angolaise d’une délégation des dirigeants politiques du M23. L’on remarquera que la mission du contingent angolais attendue en RDC ne comporte pas non plus de mandat offensif.
L’argument selon lequel le contingent angolais «a pour objectifs de sécuriser les zones de cantonnement des M23 et de protéger les membres du Mécanisme ad hoc de vérification» tient difficilement la route. Pour la double raison que le M23, appuyé par l’armée rwandaise, ne donne pas de signes qui tendraient à montrer sa volonté de rejoindre, à brève échéance, «les zones de cantonnement» (du mont Sabinyo : ndlr) d’une part; ensuite, il n’a pas été fait état, d’un quelconque danger qui menacerait les membres du Mécanisme ad hoc de vérification qui, du reste, ne se réunissent que ponctuellement, d’autre part.
La SADC en lieu et place de l’EAC
La vraie raison qui a poussé le président João Lourenço à se déterminer au point d’annoncer l’envoi d’un contingent de son armée en RDC serait à chercher dans la léthargie des troupes de la Communauté de l’Afrique de l’Est présentes dans le province du Nord-Kivu, et commandées par un officier général kényan. Pourtant pourvue d’un mandat offensif, la force de l’EAC attend plutôt de se déployer en force tampon dans les positions que les M23 et leurs soutiens rwandais seraient amenés à abandonner.
Il est vrai que depuis l’arrivée-surprise de la force de l’EAC par la seule volonté du chef de l’Etat, l’opinion nationale n’a eu de cesse de réclamer des dirigeants de Kinshasa qu’ils sollicitent la force conjointe de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). La même force qui était intervenue lors de la deuxième guerre d’agression (2018). Les Congolais se souviennent encore de la contribution efficace des armées angolaise, zimbabwéenne, namibienne et malawite contre la rébellion du RCD/Goma appuyé (déjà) par le Rwanda.
Le communiqué de la présidence angolaise ne mentionne nulle part la position de la SADC; mais il est vraisemblable que la probabilité que le contingent angolais qui rejoindra le Nord-Kivu après le quitus de l’Assemblée nationale angolaise soit un jour rejoint par des troupes d’autres membres de la communauté d’Afrique australe n’est guère à écarter.
L’unité angolaise une fois déployée ira rejoindre les Kényans, Ougandais, Burundais, Soudanais du Sud et la MONUSCO. Une profusion de forces qui rappelle «la Guerre mondiale africaine» qui vit, en 1998-99, sept armées étrangères venir à la rescousse du pouvoir menacé de Laurent-Désiré Kabila. Avec pour point d’orgue l’affrontement en juin 2000 des armées rwandaise et ougandaise à Kisangani, faisant des milliers de victimes et des destructions dont les vestiges sont toujours visibles.
Une surmilitarisation qui intrigue
Depuis le 5 mars, une trentaine de militaires burundais sont arrivés à Goma. Au total une centaine de militaires burundais seront déployés dans le cadre d’une force régionale mise en place par les pays de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) pour tenter d’endiguer l’avancée de la rébellion du M23 et démettre la centaine de groupes armés qui sévit dans la partie orientale du pays. L’armée kenyane d’environ un millier d’hommes, qui assure le commandement de la Force régionale de l’EAC, était la première unité étrangère à se déployer dans l’Est de la RDC.
Si l’on devait intégrer les troupes de la Monusco, stationnées depuis une vingtaine d’années dans l’Est de la RDC, avec son mosaïque de nationalités, il faut reconnaître qu’il y a une forte concentration des armées étrangères dans cette partie de la RDC. Une surmilitarisation qui pourrait se révéler finalement contre-productive dans la sortie de crise. Que restera-t-il alors aux forces de défense et de sécurité de la RDC ? Sinon, se contenter des portions congrues qui leur seront accordées quand toutes les forces étrangères présentes dans l’Est auront, chacune en ce qui la concerne, pris possession de sa zone d’influence.
On assiste donc à une stratégie qui, à terme, joue totalement contre la RDC. En réalité, en acceptant une forte présence des troupes étrangères sur son sol, spécialement dans la zone fragile, Kinshasa a, sans l’avouer, prouvé au grand jour son incapacité à asseoir l’autorité de l’Etat sur cette partie du territoire. C’est un aveu tacite d’impuissance des autorités congolaises. Pour dire vrai et juste, c’est un affront qui donne raison à tous ceux qui, à l’instar du président français Emmanuel, pensent que les autorités congolaises sont totalement dépassées par les évènements de l’Est.
Que reste-t-il à faire ? L’issue idéale est de reconstituer les capacités de défense et de sécurité du territoire nationale. La voie de sous-traitance, comme c’est le cas avec toutes ces troupes étrangères concentrées dans l’Est, plonge davantage Kinshasa dans un cercle vicieux. Il faut juste s’interroger sur la longue présence des troupes onusiennes pour comprendre que la paix et la sécurité dans l’Est ne viendront nullement de l’extérieur.
Econews