Trois jours après l’annonce-surprise d’une « Trêve humanitaire » par les Etats-Unis appelant à une cessation des combats entre les FARDC et la coalition M23/RDF au Nord-Kivu, les surprises s’enchaînent. Dans un premier temps et après avoir observé environ 48 heures d’un lourd mutisme, le gouvernement congolais a enfin exprimé son point de vue : il accepte le cessez-le-feu mais se méfie, connaissant le comportement belliqueux du Rwanda. Dans la foulée, un Conseil de la défense est convoqué par le chef de l’Etat où il est décidé la poursuite de la contre-offensive. Enfin ce dimanche, il est rapporté la rencontre à Zanzibar entre le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération et le vice-ministre congolais de las Affaires étrangères sous l’égide de l’EAC ; l’organisation sous-régionale boycottée ces derniers temps par Kinshasa, ce qui explique sa représentation à Zanzibar d’un diplomate de second rang.. Si bien que les observateurs ont un mal fou à décortiquer mais surtout à comprendre le cheminement diplomatique de la RDC après l’initiative américaine.
La rencontre ce dimanche sur l’île tanzanienne de Zanzibar entre le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération et le vice-ministre congolais des Affaires étrangères sous l’égide de l’EAC aurait dû rester secrète. Une fuite organisée depuis Kigali est venue secouer la diplomatie congolaise qui a du mal à cacher son embarras. Une attitude qui résulte de la surprise générale, alors que Kinshasa est déterminée plus que jamais à poursuivre les hostilités contre les M23/RDF, excluant toute forme de négociation avec Kigali avant le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais.
LA PERFIDIE DE LA DIPLOMATIE RWANDAISE
La fuite perfide autour de la rencontre de Zanzibar entre le Congolais Gracia Yamba et Olivier Nduhungirehe est le fait de ce dernier. Sur son compte X publié à la mi-journée de ce dimanche, le chef de la diplomatie rwandaise écrit : «Engagement direct et discussion franche ce matin (Ndlr : dimanche) à Zanzibar entre le vice-ministre des Affaires étrangères de DRC, Gracia Yamba, et les ministres de Rwanda en facilités par la Tanzanie et le Soudan du Sud, les deux coprésidents pour le compte de l’EAC, en présence des ministres de l’Ouganda et du Kenya, et de celle du secrétaire général adjoint chargé des affaires politiques […]
La réunion s’est déroulée dans un esprit constructif et orienté vers des solutions, et les ministres des deux pays voisins, qui ont fait preuve de bonne volonté, ont souligné la nécessité d’une solution politique à la crise à l’Est de la RDC. À cet égard, des décisions concrètes ont été prises pour relancer les processus de paix de Luanda et de Nairobi ».
La réponse de la RDC a été quasi-immédiate. Selon le ministère congolais des Affaires étrangères relayé par une radio locale, « la rencontre de Zanzibar de ce dimanche matin était dans ‘un cadre consultatif et non décisionnel’, contrairement à ce qu’a dit Olivier Nduhungirehe».
Le ministère congolais des Affaires étrangères rappelant par ailleurs que «la RDC réitère la primauté du processus de Luanda pour aborder les tensions avec le Rwanda… La souffrance humaine grave et les déplacements sont dus aux actions violentes des RDF et du M23, et non aux groupes armés locaux».
Il en découle en conséquence que « le forum de la retraite de l’EAC ne se substitue pas à l’Union africaine, qui a mandaté le processus de Luanda».
TREVE HUMANITAIRE ET ELECTIONS RWANDAISES
La rencontre confidentielle de ce dimanche éventée par le diplomate rwandais est à la mesure de la surprise suscitée par l’annonce dans la soirée de jeudi d’une «trêve humanitaire» dans le Nord-Kivu par le Département d’Etat américain. Washington ajoutant que Kinshasa et Kigali avaient réservé une suite favorable à l’initiative. Cette dernière est instituée pour quinze jours afin de permettre un accès facilité aux dizaines de milliers de déplacés fuyant les combats entre les FARDC et les M23/RDF exacerbées ces derniers jours par la prise de la cité de Kanyabayonga.
La première réaction est venue de la capitale congolaise, où le porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya s’est félicité de l’initiative américaine, tout en se disant prudent, connaissant la duplicité habituelle du Rwanda.
Plus de 72 heures après son instauration, la trêve semble respectée par les forces en présence, bien que le Rwanda, acteur majeur du conflit, n’ait encore réagi officiellement. Ce qui n’étonne nullement les observateurs, Kigali continuant à nier sa présence au Congo, et qualifiant la situation au Nord-Kivu de crise congolo-congolaise.
L’instauration d’une «trêve humanitaire» dans l’Est de la RDC, singulièrement dans la province du Nord-Kivu où les FARDC et les M23/RDF s’affrontent depuis plus de deux ans, serait une initiative encourageante et d’espoir si elle n’était pas nimbée d’un contour de questionnements qui, eux-mêmes ne manquent pas de susciter un doute.
A QUI PROFITERAIT LA TREVE ?
Primo, le communiqué annonçant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu (car c’en est un) ne cite pas les «parties» censées concernées. Il ne révèle pas non plus si l’arrêt des combats résulte de négociations ou si ce serait une initiative unilatérale américaine. Auquel cas, il est légitime de se poser la question sur la précipitation américaine, particulièrement après la prise par les M23/RDF de la cité de Kanyabayonga, et leur progression vers de nouveaux objectifs dont le territoire de Lubero voisin.
Secundo, seules les capitales Kigali et Kinshasa sont mentionnées, faisant abstraction des patronymes de leurs dirigeants respectifs. On comprend, en ce qui concerne Kinshasa, que Washington ait eu à cœur de ménager la susceptibilité du chef de l’Etat congolais remonté à l’extrême contre son homologue rwandais. En revanche, en ne citant pas nommément Paul Kagamé, l’administration américaine donne l’impression de ménager le président rwandais à moins de deux semaines de l’élection présidentielle dans son pays.
Tertio enfin, il y a lieu de s’interroger à qui profite la «trêve humanitaire ». D’un certain point de vue, l’avancée du mouvement rebelle et son allié rwandais (auxquels se seraient jointes les forces régulières ougandaises) a alerté l’administration américaine sur la montée de plusieurs crans dans l’escalade d’un conflit qui peu à peu échappe à tout contrôle.
De leur côté, les autorités congolaises n’affichent pas, et à juste titre, un optimisme aveugle; elles ne réservent pas non plus au communiqué du Département d’Etat une fin de non-recevoir explicite. Dans le premier cas, se réjouir aurait laissé penser à une manifestation de soulagement après les pertes territoriales de ces dernières semaines.
Dans le second, en observant au départ un mutisme prudent, Kinshasa a certainement pris le temps de reconsidérer ses stratégies dans le contexte des procès de militaires fuyant les combats et jugés par la justice militaire. Jusqu’à ce jour, 27 d’entre eux ont été condamnés à mort au cours de procès-marathons. D’où la nécessité pour le régime politique du Congo d’envisager pendant ce «répit» une sérieuse dose d’une piqûre de rappel aux armées s’impose.
Le gel des opérations militaires a pour corollaire que les belligérants conservent leurs positions, les M23/RDF restant maîtres des zones conquises.
Rien n’empêche en outre les forces d’agression de mettre à profit cette période pour renforcer leur logistique et permettre la relève des troupes rwandaises qui seraient remplacées par des unités plus fraîches. Une possibilité d’autant plus probable qu’il n’existe aucun mécanisme de surveillance, la MONUSCO qui aurait pu apporter sa contribution en la matière étant en phase de désengagement.
KINSHASA N’EST PAS DUPE
Connaissant le caractère sournois de Paul Kagamé, Kinshasa était mis face à une alternative cornélienne : faire abstraction de l’appel de Washington et poursuivre les combats en vue d’empêcher une nouvelle progression des M23/RDF, ou ordonner l’arrêt des opérations, s’exposant à une reprise d’offensives ennemies sur plusieurs fronts à la fin de la trêve.
C’est sans doute pour se prémunir de cette posture propre au Rwanda que le chef de l’Etat congolais a convoqué le Conseil supérieur de la Défense où la décision de la poursuite des opérations de ratissage contre les M23/RDF n’a pas été formellement écartée.
Econews