Tandis que les autorités se renvoient la couronne du «dollar dompté», la réalité des marchés peint un tableau bien différent. Avec un écart abyssal entre le taux officiel et celui de la rue, la Banque Centrale du Congo (BCC) semble avoir perdu le contrôle de sa propre monnaie, laissant une anarchie monétaire s’installer.
C’est une déconnexion qui résume à elle seule le drame monétaire que vit la République Démocratique du Congo.
Alors que la Banque Centrale du Congo (BCC) affichait un taux de change officiel de 2.339,9588 francs congolais (CDF) pour un dollar américain (USD) à la clôture du vendredi 10 octobre 2025, la réalité des rues de Kinshasa, de Goma ou de Lubumbashi est tout autre. Dans le marché parallèle, les cambistes imposent leur loi, échangeant le billet vert entre 18.000 et 19.000 CDF, un écart de plus de 700% qui sonne comme un aveu d’échec pour l’autorité monétaire.
Cette situation chaotique, que certains économistes n’hésitent pas à qualifier d’«anarchie», révèle une perte de contrôle manifeste de la BCC sur les forces du marché. Le franc congolais, en libre flottement, n’est plus «maîtrisable», selon les observateurs.
Pendant ce temps, la vie quotidienne des Congolais devient un casse-tête. Au marché, c’est «à chacun son taux de change», créant une confusion généralisée qui pénalise les consommateurs et les petits commerçants.
Le plus paradoxal dans cette affaire est le contraste saisissant entre cette instabilité et le discours officiel. Entre la Primature et le ministère des Finances, les membres du gouvernement rivalisent de déclarations pour s’auréoler de l’embellie et se vanter d’avoir dompté le «roi dollar». Une communication jugée cynique, alors que sur le terrain, la BCC, l’institution censée piloter la politique monétaire, semble assister, impuissante, à la dépréciation accélérée de la monnaie nationale.
Dans les milieux économiques, l’inquiétude est palpable.
Des voix s’élèvent pour exiger que la BCC joue véritablement son rôle de régulateur. Leur constat est sans appel : le prétendu raffermissement du franc congolais, brandi par les autorités, n’a aucun impact sur l’économie réelle. Les prix des biens de première nécessité, indexés sur le dollar du marché noir, restent rigides à la hausse, étranglant le pouvoir d’achat des ménages.
POINT DE VUE DES EXPERTS
Dans le groupe Whatsapp «Les économistes du Congo», un analyste ne fait pas dans la dentelle : «La BCC regorge de beaucoup d’économistes de renom qui doivent conseiller à leur gouverneur de modérer/tempérer ses déclarations. Tout économiste sait que la stabilité de la monnaie ne dépend pas que de la politique monétaire. S’auto octroyer seul la stabilité de change est une grosse erreur.
C’est toujours une combinaison coordonnée de la politique monétaire, budgétaire, et économique au sens large. Les effets des chocs monétaires (comme le dernier open market de 50 millions USD) sont généralement temporaires. Il faut le conforter par une gestion budgétaire saine, un renforcement du secteur productif interne (politique de l’offre), et une consolidation des exportations (pour continuer à renforcer les réserves de change). Enfin, il importe de noter que le taux de change finira par converger vers son équilibre de long terme au fur et à mesure que les prix sur le marché des biens et services s’ajustent ». Et un autre de répliquer :
«La réduction actuelle du taux de change est à créditer essentiellement aux mesures de la BCC. C’est juste conjoncturel. Il y a cependant besoin de coordination des actions gouvernementales et de la BCC comme tu le dis pour amener à bon port des réformes structurelles qui amènerait la convergence de ce taux de change vers ce «steady state» qui reste à définir. Le Gouverneur n’a pas su répondre à cette question. Les économistes de la BCC et du Gouvernement doivent travailler pour définir ce taux d’équilibre. Tu as donc raison d’évoquer ce besoin de coordination ».
En rapport avec sa mission originelle, la BCC a pour rôle de veiller à la stabilité du niveau général des prix. Or, le désordre qui sévit dans le marché des changes ne va pas dans ce sens.
Bien plus, cette débâcle monétaire pose une question fondamentale : qui gouverne vraiment la valeur du franc congolais ? Les institutions de la République, ou les cambistes du marché parallèle ? Pour les Congolais, confrontés chaque jour à cette schizophrénie économique, la réponse, amère, ne fait plus aucun doute.
FRANCIS N.

