Sergueï Lavrov arrive au Mali en pleine idylle entre Bamako et Moscou

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Depuis le retrait de la France du Mali, la Russie est devenue un partenaire clé de Bamako dans la lutte contre le terrorisme. Quitte à s’ingérer au cœur du pré carré français ?
Une première : jamais un chef de la diplomatie russe ne s’était rendu dans le pays, malgré sa longue tradition de coopération avec l’Union soviétique. Sergueï Lavrov, est arrivé à Bamako, ce lundi 6 février, pour une visite de deux jours, dans un contexte géopolitique particulier pour le Sahel. D’après Bamako, cette visite «matérialise la volonté ferme» des président Goïta et Vladimir Poutine «d’impulser une nouvelle dynamique » à leur coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité ainsi qu’au niveau économique. Elle s’inscrit, également, «en droite ligne du choix politique opéré par le gouvernement de la Transition d’élargir et de diversifier les partenariats stratégiques», écrit le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
Le moins que l’on puisse dire est que le chef de la diplomatie russe met le turbo en Afrique. C’est son troisième voyage sur le continent en l’espace de six mois. Il y a quelques jours encore, il concluait une visite fructueuse en Afrique du Sud, qui assure la présidence des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), groupe des grands pays émergents. Principale puissance industrielle du continent, l’Afrique du Sud refuse jusqu’à présent de condamner l’invasion russe de l’Ukraine et a annoncé qu’elle accueillerait du 17 au 27 février des exercices maritimes conjoints avec la Russie et la Chine. Lavrov s’était par la suite rendu en E-swatini, en Angola et en Érythrée. Après Bamako, il est prévu qu’il se rende au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie, a confirmé l’agence de presse russe Tass.

Bamako, un allié historique…
Si ce nouveau déplacement en Afrique de l’Ouest et au Maghreb s’inscrit dans le cadre d’une grande tournée africaine préparatoire du sommet Russie-Afrique prévu en juillet prochain à Saint-Pétersbourg, le Mali s’affirme de plus en plus comme un maillon essentiel de la stratégie du Kremlin en Afrique, dans un contexte de défiance vis-à-vis des partenaires traditionnels, notamment la France. «La présence du ministre russe des Affaires étrangères est une opportunité pour les autorités maliennes, qui ont besoin d’un allié puissant sur la scène mondiale», écrit en une le quotidien burkinabè Le Pays.
Un allié avec lequel plusieurs officiels maliens entretiennent des liens étroits. L’influence russe au Mali date de l’époque de l’ancien président Modibo Keïta, adepte du non-alignement. Dans sa quête d’une souveraineté économique, Bamako a tout fait pour éviter le recours aux aides françaises et signé plusieurs accords de coopération avec Moscou dès le début des années 1960. Après un désengagement brutal à la chute de l’Union soviétique, la Russie a opéré un retour en force sur le continent africain vers la fin des années 2000, en même temps que d’autres acteurs comme la Chine, la Turquie ou l’Inde. Mais principalement dans le domaine de la coopération militaire et de manière très visible dans les pays d’Afrique du Nord : Algérie, Libye, Égypte, en tête. Si le Kremlin est devenu très rapidement le premier fournisseur d’armes dans ces pays, la situation est plus nuancée en Afrique de l’Ouest, jusqu’à cette accélération observée ces dernières années.

… devenu stratégique dans l’optique de la rivalité avec le bloc occidental
Si la visite de l’influent chef de la diplomatie russe, accompagné d’une forte délégation, doit durer moins de 24 heures, elle concrétise assurément le rapprochement opéré par la junte malienne qui a pris le pouvoir par la force en 2020, en même temps qu’elle rompait l’alliance militaire avec la France et ses partenaires. Plusieurs ministres maliens se sont rendus à plusieurs reprises à Moscou. Sergueï Lavrov, qui était lundi matin en Irak, sera reçu ce mardi par le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta. Des discussions avec son homologue Abdoulaye Diop et une conférence de presse sont également programmées. Pour la presse ouest-africaine, « en prenant racine au Mali, la Russie s’installe au cœur même d’un précarré français », appuie Ledjely en Guinée. Et d’ajouter : « Au-delà du Mali, ce sont le Sénégal, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Guinée, et même le Togo et le Bénin qui sont désormais à portée de la diplomatie russe. On comprend dès lors ce qui motive Sergueï Lavrov à effectuer ce déplacement sur le terrain aride du Sahel ».
En effet, le Mali partage des frontières avec de nombreux pays, qui sont d’anciennes colonies françaises.Et les affaires vont bon train. Les principaux enjeux de cette visite sont, d’après de nombreux analystes, liés à la vente d’armes et aussi aux investissements. Moscou a déjà fourni au Mali des avions militaires, y compris des hélicoptères de guerre, ainsi que des instructeurs, selon le gouvernement malien, des mercenaires de la société Wagner, d’Evgueni Prigojine, selon la communauté internationale. D’après plusieurs sources recoupées, l’arrivée de combattants liés à la Russie sur le sol malien a été rapportée dès la fin 2021. Ils seraient des centaines à combattre au côté des soldats maliens. Les autorités maliennes revendiquent leur présence comme l’expression d’une liberté de choix stratégique dont la junte a fait son mantra avec la défense de la souveraineté.

Faire du Mali un pays pivot
Le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga encourageait la semaine passée son homologue burkinabè Apollinaire Kyélem de Tambela, en visite à Bamako, à suivre l’exemple malien en matière de défense de la souveraineté et de liberté des choix stratégiques. La même semaine, le capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso, voisin du Mali, a démenti la présence de mercenaires de Wagner sur le sol de son pays, en butte lui aussi à la propagation djihadiste et également théâtre de deux coups d’État en quelques mois. Des drapeaux russes fleurissent dans les rues de Ouagadougou, tout comme les discours antifrançais.

Quel apport de la Russie sur le terrain de la guerre ?
Sur le terrain, au Mali, le bilan de ce changement de pied stratégique est sujet à controverse. Les autorités maliennes assurent avoir inversé la dynamique contre les groupes djihadistes. L’ONU dresse, elle, un bilan plus sombre. Des nouvelles alarmantes remontent depuis des mois des régions de Tombouctou, Gao et Ménaka (nord et nord-est), où les combats entre djihadistes et groupes armés causent de nombreuses victimes civiles et provoquent des déplacements massifs. Les nouveaux alliés de l’armée malienne font l’objet d’accusations répétées d’exactions contre les populations civiles, de la part d’organisations de défense des droits et de témoins.
Signe de la dégradation du contexte général, l’ex-rébellion touarègue et des groupes armés qui ont signé en 2015 l’accord de paix d’Alger avec l’État central ont suspendu leur participation à cet accord. Et moins de 48 heures avant l’arrivée de Sergueï Lavrov, la junte a annoncé l’expulsion du chef de la division des droits de l’homme de la mission de l’ONU (Minusma). Ce nouveau coup porté à la relation avec la Minusma fait suite à un discours prononcé par une défenseure malienne des droits humains devant le Conseil de sécurité. Elle dressait un tableau sombre de la sécurité et dénonçait l’implication, selon elle, des nouveaux alliés russes dans de graves violations.

La secrétaire d’État française au Niger voisin
Au-delà du Mali, la visite de patron de la diplomatie du Kremlin s’inscrit dans une stratégie d’influence sur l’ensemble du continent, où de nombreux pays se sont gardés de condamner l’invasion russe de l’Ukraine. En quelques décennies, l’Afrique est devenue le terrain d’une âpre concurrence diplomatique et économique entre grandes puissances.
Hasard du calendrier, c’est exactement à ces mêmes dates que la secrétaire d’État française chargée du Développement et des Partenariats internationaux se trouve au Niger pour un forum d’affaires du 6 au 8 février, au moment où la France réorganise son dispositif militaire au Sahel. Chrysoula Zacharopoulou participe à la première édition du business forum UE-Niger. Cette visite est prévue de longue date, a souligné son entourage, mais elle intervient peu après que les autorités du Burkina Faso ont demandé le départ des forces spéciales françaises et alors que le Niger est pressenti pour accueillir tout ou partie de ces militaires.
Au Niger, la ministre sera aux côtés de deux homologues européens, Francisco André, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et à la Coopération du Portugal, et Konstantinos Fragkogiannis, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de Grèce, ainsi que des représentants d’autres États membres de l’Union européenne. «Ce déplacement marquera l’engagement de l’UE et de ses États membres pour la mise en œuvre des engagements pris lors du sommet UE-UA pour un nouveau partenariat avec l’Afrique», souligne le ministère français. Le business forum UE-Niger doit permettre aux entreprises européennes de «saisir les opportunités d’investissements au Niger, partenaire essentiel pour la France et l’UE », a-t-il également expliqué. Au programme : visite de terrain sur différents projets financés par l’Union européenne dans le domaine des énergies renouvelables et du traitement de l’eau, et rencontre avec les officiels, dont le président Mohamed Bazoum et le ministre des Affaires étrangères Hassoumi Massoudou.

Econews avec Le Point Afrique

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