Félix Tshisekedi a été réélu avec 73,34% des voix selon les résultats provisoires de la Commission électorale, et ce, malgré un maigre bilan. Un score écrasant contesté par l’opposition qui peine à trouver une stratégie commune.
L’égrenage au compte-gouttes des résultats partiels de la présidentielle par la Commission électorale (CENI) a laissé peu de doute sur la réélection de Félix Tshisekedi. Les résultats dévoilés toute la semaine, circonscription par circonscription, laissaient entrevoir une très large victoire du président sortant avec des scores oscillant entre 70% et 90% dans une majorité de provinces. C’est donc sans surprise que la centrale électorale a annoncé ce dimanche la victoire écrasante de Félix Tshisekedi avec 73,34% des voix, devançant nettement ses concurrents Moïse Katumbi ( 18,08%) et Martin Fayulu ( 5,33%).
La surprise du scrutin vient plutôt de l’ampleur de l’avance du Chef de l’Etat sur ses opposants, malgré un bilan des plus mitigés. Félix Tshisekedi rafle 21 des 26 provinces, laissant les 4 provinces de l’ex-Katanga à Moïse Katumbi et celle du Kwilu à Martin Fayulu. Surprise également dans la ville de Kinshasa, une province réputée proche de l’opposition, où le président vire en tête, tout comme dans les provinces de l’Est en guerre qui apportent leurs voix à Tshisekedi malgré l’échec du chef de l’Etat à ramener la paix.
Tshisekedi, l’hyper-président
Ce qui étonne également, c’est l’écart très important entre le président-candidat et Martin Fayulu, crédité d’un petit 5%, alors que l’opposant avait fait partie des 3 candidats à réunir des foules imposantes à ses meetings. Même si on peut s’interroger sur la crédibilité des scores stratosphériques de Félix Tshisekedi, on peut aussi noter qu’il a bénéficié de moyens financiers et logistiques considérables pour battre campagne et multiplier les meetings (plus d’une cinquantaine).
Le président sortant pouvait aussi compter sur des alliés politiques de poids dans l’Est, comme Vital Kamerhe ou le président du Sénat, Modeste Bahati, mais aussi dans l’Ouest avec Jean-Pierre Bemba qui a mouillé la chemise en meeting pour soutenir Tshisekedi. Dernier atout, et non des moindres : après 5 ans de mandat, Félix Tshisekedi, l’inexpérimenté, est devenu un hyper-président en réussissant à «dékabiliser » le Congo et à placer ses soutiens à la tête des principales institutions du pays, comme la CENI ou la Cour constitutionnelle. Un avantage de taille pour briller pendant les élections.
Un désordre électoral de 7 jours
Mais la principale interrogation de ces élections reste sa crédibilité au vu des nombreux dysfonctionnements relevés le jour du vote et pendant la prolongation du scrutin pendant les 6 autres jours… Un fait inédit au Congo. Le premier constant est de noter que la Commission électorale n’était clairement pas prête le 20 décembre pour organiser le vote sur l’ensemble du territoire. Les retards logistiques se sont accumulés et les couacs se sont enchaînés. De nombreux bureaux de vote ont ouvert en retard, obligeant certains électeurs à voter pendant la nuit. Des machines à voter étaient absentes ou défectueuses, des électeurs ne trouvaient pas leur nom sur les listes, et des machines à voter ont été découvertes chez des particuliers laissant planer le soupçon de la fraude – voir notre article.
L’opposition a dénoncé un chaos massif et organisé sciemment par le pouvoir pour tricher, alors que le gouvernement s’est contenté de confirmer ces difficultés, minimisant leur importance et affirmant que les irrégularités n’étaient pas en mesure de modifier les résultats. La mission d’observation électorale des églises catholique et protestante de la CENCO et de l’ECC ont relevé elles aussi de nombreux incidents pendant le vote.
Plus de 8.000. Mais selon le président de la CENI, Denis Kadima, «il y a convergence de vue» entre les résultats de la centrale électorale et ceux de la mission d’observation. Sur les irrégularités, la CENI préfère voir le verre à moitié plein, notamment sur l’ouverture du vote plusieurs jours après le délai légal. Denis Kadima a demandé « de ne pas trop s’attarder sur le fait que nous ayons étendu le vote au-delà du premier jour», considérant qu’il était important que tous les Congolais puissent voter. La CENI semble avoir clairement privilégié le respect des délais au détriment de la qualité du scrutin.
Une contestation qui peine à s’organiser
L’opposition congolaise a été vent debout dès le premier jour du vote pour dénoncer le désordre logistique et le manque de crédibilité du scrutin. Les opposants ont pointé de nombreuses irrégularités : poursuite du vote pendant 6 jours après le délai légal, bureaux de vote parallèles, contrôle de machines à voter par des candidats du camp présidentiel… Selon les concurrents à Félix Tshisekedi, le scrutin de 2023 a été le plus coûteux (1,3 milliard de dollars) et le plus mal organisé de l’histoire.
«Un chaos orchestré par le pouvoir ». Les 9 principaux candidats d’opposition ont appelé ce dimanche les Congolais à se mobiliser massivement contre la fraude et exiger la réorganisation des élections. Mais la contestation des opposants a du mal à se structurer. Le premier rendez-vous avec la rue, où seul Martin Fayulu était présent, a été raté et étouffé par la police après des échauffourées le mercredi 27 décembre. Pour être efficace, l’opposition doit se trouver une stratégie commune et parler d’une seule voix. Chose qui ne sera pas aisée après l’échec des négociations de Pretoria pour trouver un candidat commun. Le porte-parole de Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu, a annoncé ne pas vouloir saisir la Cour Constitutionnelle, « une structure officielle de fraude mise en place par le régime».
Le score extrêmement élevé réalisé par Félix Tshisekedi permet en effet au camp présidentiel de balayer d’un revers de main toute contestation sur l’ampleur des irrégularités qui remettraient en cause les résultats. La rue semble la dernière carte à jouer pour l’opposition. Une carte qui peine à trouver un écho favorable pour le moment tant les Congolais paraissent s’être fait à l’idée d’un second mandat de Félix Tshisekedi.
Christophe Rigaud (Afrikarabia)