L’OIF répond à Kinshasa : «La Journée internationale de la Francophonie n’est pas une célébration politique »

860 31

Le mercredi 20 mars, c’était la Journée internationale de la Francophonie. De nombreuses manifestations culturelles sont prévues dans les pays où l’on parle français. Mais en République Démocratique du Congo, il n’y aura pas de cérémonie officielle car les relations sont tendues entre Kinshasa et la secrétaire générale de la Francophonie, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Comment réagit-elle ? Entretien entre RFI et sa porte-parole, Oria Vande Weghe.

RFI : Votre mot d’ordre cette année, c’est créer, innover et entreprendre en français. À quel public vous adressez-vous ? 

Oria Vande Weghe : Très clairement à la jeunesse francophone. Vous savez, on est un espace très jeune avec une moyenne d’âge assez jeune dans beaucoup de nos États. Et, cette année, la volonté de la Secrétaire générale et du président Emmanuel Macron, qui accueille le prochain sommet, a été de s’adresser directement aux jeunes dans cette thématique de création, d’innovation. Surtout parce qu’une des préoccupations principales de la jeunesse, c’est de s’insérer professionnellement et que ça passe par l’innovation, la création et l’entreprenariat.

Et concrètement, est-ce que l’OIF organise, pays par pays, des concours dont les jeunes lauréats sont récompensés par le financement de leurs projets, par exemple ? 

Alors, ça ne fait pas partie de nos programmes. Mais effectivement, cette année justement, à l’occasion de cette thématique, l’OIF, la Secrétaire générale en particulier, a décidé de lancer un grand concours justement destiné à la jeunesse de tous nos États membres. On va le lancer en ligne et inviter tous les jeunes à proposer des projets innovants dans plusieurs secteurs, et les lauréats seront récompensés avec des enveloppes budgétaires permettant de mener à bien leur projet. Donc oui, c’est à l’ordre du jour et les lauréats seront annoncés normalement pendant le sommet.

Pendant le sommet de la fin de cette année en France ? 

Oui, au mois d’octobre.

On sait où il aura lieu, ce sommet ?

Il aura lieu en France, en partie à Paris, en partie à Villers-Cotterêts, les 4 et 5 octobre.

Et j’imagine que ce concours, il sera organisé notamment dans de nombreux pays africains, 85% des francophones étant africains.

Exactement. On va le lancer en ligne et, tout au long du mois de mars et au cours des semaines qui suivent, on va vraiment mobiliser au maximum pour qu’on ait le plus de candidatures possibles. Donc, je profite d’être sur vos antennes pour lancer l’appel à la jeunesse pour participer massivement à ce concours.

Le premier pays francophone d’Afrique, c’est la République démocratique du Congo. Mais cette année, à Kinshasa, il n’y aura pas de cérémonie officielle pour célébrer ce 20 mars, car les autorités congolaises vous reprochent, vous, l’OIF, d’être pro-rwandais dans le conflit actuel entre le Rwanda et le Congo Kinshasa. Quelle est votre réaction ? 

Écoutez, oui, nous avons appris cette décision de la RDC hier. Que dire ? Je ne sais pas si c’est en raison de la nationalité de notre Secrétaire générale, ou parce que le Rwanda est également un pays membre de notre organisation. Mais il faut savoir que le 20 mars, la Journée internationale de la Francophonie, ce n’est pas une célébration d’ordre politique, c’est une célébration citoyenne. Les États, les communautés, les instituts, les académies… Tout le monde culturel célèbre cette appartenance à un espace francophone. Donc, personnellement, je ne suis pas sûre de voir le lien entre la célébration du 20 mars et toute forme de reproche politique. Maintenant, de dire qu’on reproche à l’Organisation de prendre parti, j’aimerais savoir sur quelle base se fait ce reproche. Je ne pense pas qu’il y ait eu une quelconque prise de position à ce jour, bien au contraire. La Secrétaire générale a communiqué plusieurs fois positivement pour encourager la voie du dialogue, donc je pense que, en tout cas, il ne faut pas faire d’amalgame entre le politique et la vie citoyenne. Les nombreux francophones de RDC mériteraient de célébrer leur langue et l’appartenance à cet espace linguistique.

Ce qu’on entend beaucoup à Kinshasa, ce sont des reproches à l’égard de Madame Louise Mushikiwabo, parce qu’elle n’utiliserait pas sa position de Secrétaire générale pour essayer de rapprocher les deux pays, le Rwanda et le Congo, alors que la Francophonie doit être un espace de concertation et de dialogue politique.

Mais ce dialogue existe au sein de nos instances. Je pense que le sujet est débattu très régulièrement dans nos différentes commissions politiques. Il a fait l’objet de discussions au plus haut niveau lors du sommet de Djerba en 2022. Je pense qu’il y a une mauvaise compréhension du rôle de la Secrétaire générale. Je vous rappelle que nous sommes le secrétariat des États et que toute action politique est en fait motivée ou, en tout cas, dictée par une concertation des États qui demandent à l’OIF d’agir dans un sens ou dans un autre. Donc, ce n’est pas exclu qu’il y ait une action, en tout cas il n’y a pas une volonté de ne pas s’impliquer, bien au contraire. Donc, je pense qu’il y a un amalgame qui peut être fait sur la personne même de la Secrétaire générale.

«Ce n’est pas exclu qu’il y ait une action », dites-vous. Voulez-vous dire que Louise Mushikiwabo pourrait entreprendre une initiative diplomatique ? 

Non, ce que je dis, c’est que c’est aux États de se concerter, de se réunir et de demander à la Francophonie, comme c’est le cas pour toutes les autres crises qui ont lieu dans l’espace francophone, où les États dans lesquels on s’implique nous demandent de s’y impliquer. Il y a tout un processus qui doit être suivi. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas exclu que ça arrive. Pour l’instant, la Francophonie s’est exprimée à plusieurs reprises. Il y a eu des communiqués, il y a eu des annonces et, pour l’instant, je ne vois pas le lien entre la Journée internationale de la Francophonie à ce stade-ci et un processus politique qui doit avoir lieu.

Est-ce que la position d’ancienne ministre des Affaires étrangères du président Kagame ne catalogue pas Madame Mushikiwabo d’un côté, et ne l’empêche pas de se mettre au milieu du gué, justement ? 

Très certainement, il faudrait demander aux autorités ce qu’elles en pensent. Mais c’est clair que sa position d’ancienne ministre des Affaires étrangères, forcément, fait qu’on lui attribue une prise de position, certainement.

Mais justement, est-ce que ça ne la paralyse pas dans son action d’éventuelle médiatrice, d’artisane du dialogue ? 

Je ne pense pas. Je pense qu’il y a eu des volontés de la Francophonie de s’impliquer auprès de la RDC. Je pense notamment aux dernières élections de 2023, où la Francophonie a été invitée à observer. Et puis, finalement, où le pays n’a pas permis que cette observation des élections se fasse dans de bonnes conditions. Je pense qu’il y a l’épisode des Jeux de la Francophonie de 2023 aussi, on peut le mentionner, où la Secrétaire générale a été invitée, ensuite désinvitée. Donc effectivement, je pense que, du côté des autorités congolaises, il y a certainement quelque chose en lien avec la nationalité de la Secrétaire générale qui est à regretter parce qu’aujourd’hui, elle n’est pas ministre des Affaires étrangères du Rwanda, elle est Secrétaire générale de la Francophonie, à laquelle appartiennent les deux États que sont le Rwanda et la RDC.

Simplement, les Congolais remarquent que le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 est pointé par l’ONU et condamné par de multiples pays dans le monde entier, mais que l’OIF ne condamne pas ce soutien ? Est-ce peut-être parce que Madame la Secrétaire générale est rwandaise ? 

La Secrétaire générale en a appelé au respect de toutes les parties de poursuivre le processus de dialogue et de négociation de Nairobi. Donc la voix de la Francophonie, ça a toujours été le dialogue, la concertation, certainement pas le conflit. Donc, elle s’est exprimée à ce sujet à maintes reprises.

Des Jeux olympiques dans un pays francophone, c’est très rare, on n’avait pas vu cela depuis 1976 à Montréal. Cette année est donc un cru olympique exceptionnel pour faire rayonner la langue française dans le monde entier, mais est-ce que l’anglais n’est pas de plus en plus dominant dans les stades et dans les villages olympiques ?

Alors, je pense que l’anglais, malheureusement ou heureusement, est dominant un petit peu dans tous les secteurs, c’est vrai que c’est une réalité. La langue française est pourtant une des langues officielles des Jeux olympiques. Alors, cette année, l’OIF a signé avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO) une convention sur l’usage et la promotion de la langue française. L’idée ici, c’est vraiment de pouvoir profiter de cette édition des Jeux olympiques, qui se passe dans un pays très francophone, pour le coup, pour mettre en place de bonnes pratiques visant à valoriser l’usage de la langue française, non seulement comme langue de travail dans les Jeux, mais également de communication, et de partir de cette bonne expérience pour rester dans cet engagement lors des prochaines éditions, notamment lors de celle de Los Angeles en 2028. La Francophonie s’est également engagée à mobiliser un certain nombre de volontaires francophones pour venir en appui aux équipes organisatrices des Jeux. En échange de quoi, le Comité s’est engagé à vraiment s’assurer que les documents, les différentes communications signalétiques seront disponibles dans toutes les langues, et surtout en français. Donc là, on va être un petit peu comme les observateurs de ces bonnes pratiques. Au terme de ces Jeux, l’OIF sera amenée à fournir un rapport qui pourra faire l’objet de recommandations pour toutes les éditions prochaines.

Oui, mais franchement, Oria Vande Weghe, lors des précédents Jeux de 2016 à Rio et de 2021 à Tokyo, on ne parlait pas français, à part lors des remises de médailles. Tous les commentaires, toutes les inscriptions étaient en anglais. Qu’est ce qui nous garantit que le français va revenir cette année ? 

Absolument. Écoutez, déjà, le fait que ça se passe à Paris, ça joue bien sûr en faveur de la langue française. Maintenant, comme je le disais précédemment, on va s’assurer que cette expérience-ci va permettre de mettre en place de bonnes pratiques. Après, c’est vrai que ce sera un challenge pour les années à venir de maintenir cette pratique-là. Et vous savez que la question de la langue française dans les instances internationales, que ce soit dans les Jeux, dans les grandes compétitions ou dans les enceintes comme les Nations unies, c’est une question aussi de volonté. Il faut que les pays organisateurs y mettent de la volonté, que les participants francophones y mettent aussi de la volonté et que tout le monde ensemble se dise, ‘on va parler dans la langue qui est la nôtre et on va défendre cette langue’. Donc, on espère bien que cette édition à Paris va pouvoir faire la différence.

Il y aura des conférences de presse où on parlera en français, par exemple ? 

J’espère bien, oui. Après, tous les athlètes, forcément, ne seront pas francophones. Il faudra aussi s’adapter au caractère multilingue et multinational des Jeux.

Et vous espérez que le pli sera pris pour les prochains JO de 2028 ? 

C’est l’idée, c’est toute l’idée de cette convention. Donc, on va faire, en très mauvais français, un monitoring de l’usage de la langue française cette année et en espérant que, pour les années suivantes, les bonnes pratiques vont être installées.

Et vous espérez qu’à Los Angeles, on parlera aussi français en 2028 ? 

On espère ! Un peu moins qu’à Paris, certainement.

Avec RFI

Related Post

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights