Les investisseurs tant publics que privés se détournent des pays africains à l’heure où les besoins de financement sont considérables. Une situation qui devrait encore perdurer cette année.
«Recherche capitaux désespérément ». Face à leurs gigantesques besoins de financement, les pays africains sont confrontés non seulement à un assèchement des capitaux internationaux mais à un renchérissement de leurs emprunts. En présentant, jeudi, l’édition 2024 de l’ouvrage « L’économie africaine », les responsables de l’Agence française de développement (AFD) ont brossé un tableau loin d’être idyllique.
«Nous faisons face aujourd’hui à un problème conjoncturel de financement en Afrique », a regretté Rémy Rioux, le directeur général de l’AFD lors d’un point presse. Grande pourvoyeuse de capitaux, la Chine qui était encore récemment le prêteur incontournable de nombreux pays africains dont l’Angola, l’Ethiopie et le Kenya, a nettement réduit la voilure.
«Seulement 1 à 2 milliards de dollars ont été prêtés sur le continent par la Chine ces trois dernières années contre 170 milliards entre 2000 et 2022», a détaillé Thomas Melionio, le directeur de la recherche de l’agence.
Les grands projets américains, avec l’Inflation Reduction Act, et européens, avec le Pacte vert, détournent les investisseurs du continent africain. Non seulement les fonds privés n’arrivent guère mais les fonds publics sont également sur le reculoir.
Pas d’embellie à prévoir
L’année qui vient de s’ouvrir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Elle «n’est pas la plus propice» pour prévoir un retour des investisseurs sur le continent. «La moitié des pays du monde étant en période électorale, il sera difficile trouver un accord politique» pour le financement des pays africains.
Rien qu’au sein du continent, des élections se tiennent en Afrique du Sud, au Mozambique, au Sénégal et au Ghana. A cela s’ajoute l’instabilité politique sur le continent où pas moins de huit coups d’Etat ont été répertoriés en trois ans. Maintenir des investissements et des programmes d’aides dans ce contexte est difficile…
Année de transition
«Nous fondons de grands espoirs pour 2025 qui marquera les dix ans de l’accord de Paris à la COP 21 et de la Conférence internationale sur le financement du développement d’Addis-Abeba », veut croire Remy Rioux.
Cette année devrait être seulement une période de transition où de nouveaux moyens de financement et de mobilisation des capitaux public et privés devraient être mis au point (recyclage des DTS du FMI, hausse des financements des banques multilatérales de développement…) dans le sillage du sommet de Paris de juin dernier pour un nouveau pacte financier mondial.
Un fossé à combler
L’Afrique a besoin de 2.800 milliards de dollars entre 2020 et 2030 pour s’adapter au réchauffement climatique et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Le niveau actuel des financements est largement insuffisant : les ressources engagées sont de seulement 300 milliards. «Il faudrait pour combler l’écart au moins 250 milliards chaque année soit environ 10% du PIB africain. Nous en sommes loin », a constaté Christian Yoka, le directeur Afrique de l’AFD.
Pour ne rien arranger, bon nombre de pays du continent souffrent d’un surendettement. La hausse des taux d’intérêt dans le monde affecte plus particulièrement l’Afrique. «Par exemple, à une hausse d’un point de pourcentage des taux allemands correspond un renchérissement de plus de 11 à 12 points des taux en Afrique », observe Thomas Melonio.
L’investissement dans le monde face à des vents contraires
«Le retour de conditions de financement plus onéreuses, sans être anormal, renchérit fortement le service de la dette publique qui représente en moyenne pour l’Afrique près de 4,5 % du PIB en 2021 contre 1,5 % dix ans plus tôt », pointe l’AFD.
«Sur le plan des dettes, la situation n’est certes pas aussi dramatique que dans les années 2000 mais nous nous en rapprochons», avertit Thomas Melionio. La part des recettes budgétaires allouée au remboursement de la dette est désormais supérieure à 15 % dans plus de 20 pays du continent.
A l’écart de la mondialisation
Pour son malheur, l’Afrique est restée relativement à l’écart de la mondialisation qui a permis en Asie un accroissement important des investissements dans les années 1990 et une insertion progressive dans l’économie mondiale. D’un point de vue commercial, l’Afrique ne bénéficie pas d’une intégration régionale aussi poussée qu’en Asie ou en Amérique Latine.
D’où la nécessité d’améliorer les infrastructures de commerce et de transport et d’accroître les investissements productifs, qui ne peuvent être assurés de manière autonome pour la plupart des pays du continent. C’est vital pour des pays où le dynamisme démographique ne se dément pas et où il va falloir intégrer les jeunes sur le marché de l’emploi. Avec la hausse de la population, le PIB par habitant en Afrique n’a retrouvé son niveau antérieur à la crise sanitaire qu’en 2023. Bien plus tardivement que toute autre grande région du monde.
Avec lesechos.fr