La cohésion nationale selon Fayulu : un mirage ?

Le meeting de Martin Fayulu de ce samedi 31 août à la place Sainte Thérèse dans la municipalité de Ndjili à Kinshasa s’est déroulé dans un climat de sérénité inhabituel. Entre des forces de police (et même la Garde républicaine) et la population venue en masse, l’accueillir à l’aéroport international de Ndjili, l’entente semblait au rendez-vous. Aucun incident de quelque nature que ce soit n’a été déploré. Signe que le leader de Lamuka est en voie d’entretenir des atomes crochus avec le régime de l’UDPS/USN qui hier encore était au centre de son combat politique contestataire. Si son appel à la cohésion nationale rencontre dans l’opinion un accueil relativement favorable, en revanche l’identité, encore moins la qualité des participants au dialogue préconisé demeure aléatoire. En les désignant sous le vocable imprécis de « parties prenantes », le doute plane quant à l’organisation dans des délais courts d’une rencontre dont le caractère hypothétique n’est pas à écarter.    

Ils étaient des milliers à avoir fait le déplacement de l’aéroport international de Ndjili pour accueillir le leader de Lamuka de retour des Etats-Unis. Comme il est devenu coutumier, des masses mobilisées ont accompagné jusqu’à la place Mambenga que Martin Fayulu connaît sur le bout des doigts pour s’y être livré au même exercice à maintes reprises. Cette fois pourtant, son meeting s’est déroulé sous de meilleurs auspices. Le service d’ordre déployé pour la circonstance était irréprochable et la présence des militaires de la Garde républicaine a fini par convaincre les observateurs des bonnes grâces dont jouit dorénavant l’opposant de la part d’un régime qui ne badine pas quand il s’agit de réprimer des manifestations «hostiles» des oppositions.

Martin Fayulu n’a d’ailleurs pas manqué de jeter des fleurs à la police nationale pour son «professionnalisme», congratulant au passage le nouveau gouverneur de la ville Daniel Bumba qui, en amont, avait délivré toutes les autorisations avec une célérité inhabituelle.

DES PARTIES PRENANTES AUX CONTOURS FLOUS

Le discours de Martin Fayulu, centré autour de la nécessité de rétablir la cohésion nationale avait déjà fait l’objet d’âpres débats dans les médias sociaux plusieurs semaines avant son retour au pays. «Il nous faut une seule chose : la cohésion nationale. Il est impératif que nous nous mettions autour d’une able, toutes parties prenantes. Ensemble, nous devons engager des discussions profondes et constructives sur l’avenir de notre pays, sur la protection de l’intégrité de notre territoire», déclarait-il le 24 août peu avant de quitter les Etats-Unis.

En prenant l’initiative de booster la cohésion nationale par le dialogue, Martin Fayulu ne désigne pas explicitement les «parties prenantes» qui se retrouveraient autour d’une table. Impossible de savoir s’il envisagerait d’inviter les «terroristes» du M23 qui mettent une partie du Nord-Kivu à feu et à sang. Ou s’il compte sur une requalification du Processus de Luanda. A moins, comme le soulignent certains de ses détracteurs, sceptiques, qu’il ne vise la Primature.

L’appel de Fayulu a entraîné au pays de vives réactions, dont celle d’Ensemble pour la République de Moise Katumbi par la bouche de son porte-parole Olivier Kamitatu : «Quoi qu’on en dise, – dialogue, négociations ou table ronde – ces attrape-nigauds lancés par le pouvoir ont pour seul but de leurrer une opposition dont certains membres semblent déjà essoufflés».

Le sentiment général étant un scepticisme quant à l’aboutissement d’une démarche dont les protagonistes ne manifestent pas de hâte à se prononcer. Quant aux «pères spirituels» sur lesquels il compte pour engager la médiation,  ils ne montrent pas non plus un enthousiasme avéré. Ni l’épiscopat catholique (la CENCO), encore moins les protestants (l’ECC) ne semblent pas accorder un crédit sans équivoque à une démarche venant d’une classe politique qui les a déçus à maintes occasions.

Les deux clergés gardent encore fraîches dans la mémoire les retournements de Fayulu qui, après avoir annoncé son boycott du processus électoral, avait finalement fait volte-face en se présentant à la présidentielle sans des représentants à l’Assemblée nationale. Une posture qui ne laisse d’inspirer la méfiance face à son appel à la cohésion nationale dont il est seul à maîtriser les tenants et les aboutissants.

Quant aux «Résistants kabilistes», pas sûr non plus qu’ils adhèrent à l’idée des assises où ils iraient côtoyer l’UDPS dont le chef a accusé Joseph Kabila,  leur Autorité morale, de fomenter une insurrection, allant jusqu’à le charger de la paternité de l’Alliance Fleuve Congo dirigée par Corneille Nangaa en coalition avec la rébellion du M23 elle-même activement soutenue par le Rwanda. Ayant déjà boycotté le cycle électoral de 2023, on voit mal Joseph Kabila ou ses plénipotentiaires accourir à l’appel de Fayulu.

HESITATIONS A L’UDPS/USN

Reste l’UDPS. A Limete, c’est l’expectative. Le parti présidentiel où se déroule une guerre interne sans merci autour du secrétariat général, nul se hasarde à se prononcer, de peur d’afficher des positions qui pourraient ne pas plaire à la «Haute Autorité de référence», tant que Félix Tshisekedi lui-même n’aura pas donné ouvertement son feu vert !

Quant aux «poids lourds» de l’Union sacrée de la nation (USN), l’appel au dialogue lancé par Marti Fayulu ne soulève pas d’écho. L’AFDC de Modeste Bahati ne cache pas son malaise et la presque totalité de ses fédérations appellent avec insistance la direction de leur regroupement à clarifier sa position fac à l’injustice apparue lors de la distribution des postes ministériels où sa représentativité ne serait pas, selon elles, proportionnelle à son poids politique. Le MLC de Jean-Pierre Bemba aussi bien que l’UNC de Vital Kamerhe ne sont pas en reste adoptent le même attentisme.

Comme l’opinion nationale, Martin Fayulu a entendu le chef de l’Etat envisager un remaniement gouvernemental en janvier 2025, avec une nouvelle équipe qui vraisemblablement et  sauf imprévu, ne serait pas dirigée par la Première ministre Suminwa. De là à prêter à Martin Fayulu l’intention de se rapprocher du camp présidentiel dans l’éventualité de former le futur gouvernement, il n’y a qu’un pas que beaucoup d’observateurs n’hésitent pas à franchir.

En attendant, il lui fallait bien rester dans sa dialectique habituelle, fustigeant le train de vie scandaleux des dirigeants qui contraste avec la misère du grand nombre; les détournements massifs des deniers publics, le tribalisme et le népotisme, sans omettre les faible moyens alloués aux forces armées qui se sacrifient sur divers théâtres des opérations.

Il le fallait, au risque de porter de l’eau au moulin de ceux qui le voient déjà embraser la cause d’un camp au pouvoir qu’il accusait il y cinq ans de lui avoir volé sa victoire. En enterrant la «vérité des urnes» qui a constitué longtemps son discours politique, le président de l’ECiDé se devait de se lancer dans une nouvelle croisade citoyenne quoique au stade actuel, elle apparaît comme un simple mirage dans une atmosphère politique générale étouffante.

MWIN M.F.

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