Henri-Claude Oyima (BGFIBank) : « Il est temps que nous financions nos économies africaines par nous-mêmes »

839 91 Henri Claude OYIMA BGFIBank ©GlobalMindConsulting I Forbesafrique.com Janv. 2024 3

Démarré modestement à Libreville il y a plus d’un demi-siècle, le groupe BGFIBank s’est mué en premier établissement bancaire d’Afrique centrale. Un succès qui doit beaucoup au fondateur et actuel président de l’institution, Henri-Claude Oyima. Dans cet entretien accordé à Forbes Afrique, le financier gabonais revient sur les performances de la banque, les dernières évolutions du secteur, le prochain plan d’entreprise de BGFIBank ainsi que sur les ambitions qu’il porte à la tête du patronat gabonais et de la BVMAC.

Forbes Afrique : Dans un contexte difficile, marqué par de multiples aléas conjoncturels (tensions inflationnistes, resserrement des taux d’intérêt, instabilité géopolitique internationale, crises économico-politiques dans certains pays d’Afrique centrale…), BGFI enchaîne les bonnes performances. Comment votre groupe parvient-il à de tels résultats ? 

Henri-Claude Oyima : Nous sommes effectivement dans une phase conjoncturelle ou, pour lutter contre la spirale inflationniste, les banques centrales du monde entier ont dû relever leurs taux directeurs. Cette politique s’est traduite par un accès plus restreint aux liquidités. Or, ce resserrement monétaire a de facto eu un prix : l’augmentation du coût du risque, corollaire de la dégradation de l’activité économique, ce qui a mécaniquement impacté les résultats des banques.

Dans le cas de BGFIBank, nous avons toutefois su tirer parti de deux atouts : une gestion rigoureuse de ce risque de crédit — qui a moins pesé sur nos performances que d’autres établissements financiers — et un ample accès aux liquidités, notre principal actif aux côtés des ressources humaines. Je rajouterai par ailleurs qu’au vu de la présente conjoncture, notre modèle de banque multi-pays et multi-métiers s’est trouvé conforté, cette diversification tant géographique qu’opérationnelle nous prémunissant mieux contre les chocs exogènes. Au final, c’est cette configuration particulière – une bonne gestion des risques, un ample accès aux liquidités et un développement fondé sur la diversification – qui nous a permis d’être en position de capitaliser sur certaines opportunités, inaccessibles à d’autres. Lorsque ces différents éléments sont maîtrisés, vous vous donnez la possibilité d’être sur une trajectoire ascendante.

Parlons de votre actualité récente. En accord avec les autorités congolaises, vous allez reprendre Société Générale Congo, la filiale locale du français Société générale. De quelle manière cette nouvelle acquisition s’inscrit-elle dans votre stratégie globale ? Plus largement, quels sont vos critères d’implantation lorsque vous souhaitez vous positionner sur un nouveau marché ? 

La reprise de la participation de l’État congolais dans Société Générale Congo obéit en premier lieu à une logique de renforcement de nos capacités locales. Par le biais de notre filiale locale, BGFI Congo (créée en avril 2000, BGFIBank Congo dispose d’un total de bilan de 691 milliards de francs CFA, soit 1,053 milliard d’euros), nous disposons déjà d’une part de marché de 40 %, en termes de dépôts et de crédits. En ce sens, l’acquisition de SG Congo nous permet d’asseoir un peu plus notre position sur le marché congolais. Cette opération nous offre par ailleurs un avantage majeur, la complémentarité des activités de BGFI et SG Congo. Notre groupe BGFI est historiquement centré sur le segment corporate, composé d’une clientèle haut de gamme et d’entreprises. En comparaison, le portefeuille client de SG Congo est plus large et diversifié, ce qui nous permettra de nous renforcer opportunément sur d’autres segments tels que le retail. Nous sommes dans une logique de développement et d’expansion. À ce titre, je prends l’engagement qu’il n’y aura pas de plan social au sein de SG Congo.

Il est toutefois bon de rappeler que lorsqu’il s’agit d’évaluer de telles opportunités, il n’y a jamais de schéma pré-établi. Nous évaluons les situations au coup par coup, à l’image de notre décision de lancer, en 2021, une nouvelle filiale en Centrafrique, avec le rachat de la Commercial Bank Centrafrique. Dans ce cas spécifique, il s’agissait de nous positionner sur un nouveau marché, ce qui diffère de la démarche adoptée avec le rachat de SG Congo, où l’objectif est de renforcer notre présence locale.

La reprise de Société Générale Congo par BGFI-Bank semble par ailleurs conforter une tendance de fond, à savoir le retrait des banques occidentales du continent. Quelle analyse faîtes-vous de ce développement ? 

Le retrait des banques étrangères que vous évoquez – françaises notamment – s’explique d’abord par le fait que l’Afrique ne fait plus partie de leur stratégie et que ces établissements préfèrent financer nos États et certaines de nos entreprises depuis leurs centres à l’international. Cette logique de financement offshore est néanmoins intenable dans la durée et il est illusoire de croire que les pays africains pourront se développer de manière pérenne avec une telle approche. Il est temps de financer par nous-mêmes nos États et nos entreprises. C’est ce que nous avons par exemple fait avec les clubs de Libreville, de Brazzaville et de Malabo. Nous avons des banques centrales et des commissions bancaires qui sont en mesure de proposer des solutions endogènes, afin d’optimiser l’usage que nous faisons de nos ressources. Plus largement, nous avons aujourd’hui un écosystème financier (Bourses, assurances, banques) qui pourrait sans difficulté servir l’ensemble de nos besoins de financement si tant est que les principaux opérateurs économiques générant des flux de devises jouent le jeu en domiciliant leurs revenus dans nos pays. À la décharge toutefois des entreprises conservant leurs recettes à l’étranger, nous devons offrir un environnement des affaires plus sécurisé, qui passera par plus de garanties juridiques.

En définitive, il revient à nos pouvoirs publics de favoriser la constitution de grands groupes bancaires locaux, dont la taille du bilan permettra de financer les projets d’investissements structurants avec des ressources intérieures. Des pays tels que le Nigeria l’ont fait de manière décisive par le passé, en poussant notamment leurs opérateurs locaux à augmenter le niveau de capital requis pour exercer l’activité bancaire. In fine, cette logique de renforcement des bilans a donné naissance à des acteurs majeurs du secteur bancaire africain. C’est cette approche qu’il nous faut désormais généraliser, partout sur le continent.

Autre sujet d’actualité, la certification ISO 9001: 2015, obtenue en décembre par la holding du groupe BGFIBank. Qu’apporte concrètement un tel label à BGFIBank ? 

H-C.O : La démarche de certification ISO est un processus que nous appliquons depuis longtemps déjà au sein du groupe, et ce pour une raison qui tient à notre histoire. Longtemps rattachée à Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas) et à l’expertise apportée par des structures telles que le CCF et la Banque populaire, la BGFI s’est progressivement autonomisée au début des années 2000. Toutefois, dans cette phase nouvelle qui s’ouvrait, nous avions besoin d’un référentiel, d’une ligne directrice pour structurer notre démarche, à l’aune des défis que nous devions relever. C’est ce point d’ancrage que nous a apporté la démarche ISO, une norme certes exigeante, mais qui nous permet de nous adosser à un benchmark d’excellence, internationalement reconnu.

Aujourd’hui, outre la holding chapeautant nos activités, c’est l’ensemble de nos filiales africaines (Cameroun, Bénin, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale…) qui applique avec succès ce référentiel mais également deux autres labels de performance et d’efficacité, les certifications AML 30.000 (une norme internationale associée à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, NDLR) et MSI 20.000, qui confirme la solidité et la performance financière de notre banque.

Vos orientations stratégiques suivent actuellement votre plan quinquennal Dynamique 2025, qui s’achèvera dans deux ans. Quel bilan faîtes-vous à mi-parcours de ce plan et quels seront les contours du projet d’entreprise qui succèdera à Dynamique 2025 ? 

Dans l’ensemble, les objectifs fixés par le plan Dynamique 2025 ont été dépassés et notre conseil d’administration se réunira au cours du premier trimestre 2024 pour réactualiser cette feuille de route en conséquence. Quant à notre prochain plan quinquennal, Horizon 2030, il se fera dans la continuation de Dynamique 2025, c’est-à-dire avec un focus particulier sur le volet commercial (élargissement continu de la base clientèle et satisfaction de celle-ci) et le renforcement de notre capital humain. Horizon 2030 tiendra en particulier compte du passage progressif de flambeau qui se fait jour entre l’ancienne et la nouvelle garde des collaborateurs BGFI. C’est un changement d’époque important et il nous appartient de faire en sorte que nos jeunes recrues soient formées pour faire face aux multiples défis de leur temps (en matière de formation, l’action de BGFIBank passe notamment par la BGFI Business School, NDLR). C’est cette osmose de talents et d’expérience entre différentes générations qui fera que, dans cent ans, on parlera encore de BGFIBank.

Enfin, dans le prolongement du plan Dynamique 2025, le plan Horizon 2030 prendra en compte la gestion des nouveaux risques associés à notre métier, à l’image des risques ESG (Environnement, Social et Gouvernance), ceux-ci étant de facto intégrés à notre cartographie des risques. Cette cartographie est de fait déjà régulièrement évaluée par nos équipes à l’échelle du groupe, afin de réajuster en permanence notre appétence à tel ou tel type de risques. La performance financière d’une organisation telle que la nôtre passe nécessairement par cette démarche proactive qui, au final, enrichit nos actionnaires.

Outre votre rôle de dirigeant du groupe BGFIBank, vous êtes également à la tête de la Fédération des entreprises du Gabon (FEG). S’agissant de cette institution, quel est aujourd’hui le principal chantier que vous souhaiteriez mettre en œuvre ? 

La FEG a une ligne d’horizon claire : bâtir une économie gabonaise forte pour garantir notre souveraineté nationale. Il découle de cette ambition que les entreprises locales doivent prendre une part significative au développement du pays. Disons-le tout net, ce changement de paradigme devra passer par une implication plus forte du secteur privé dans tous les secteurs. Il nous faut être acteurs du changement et non plus spectateurs. C’est dans cette optique notamment que la FEG a établi une charte d’éthique et de déontologie, qui fixera un cadre défini aux entreprises dans l’établissement de leurs relations avec leurs différents partenaires. Sortons des méthodes contre-productives du passé et de l’informel. C’est à ce prix seulement que nous réussirons.

Votre fonction de président du conseil d’administration de la BVMAC vous confère par ailleurs une lecture avertie de la situation du marché financier communautaire en Afrique centrale. Une région où nombre d’insuffisances continuent d’être observées (faible liquidité du marché, relative méconnaissance des épargnants pour ce type de placement, réticence des entreprises à lever des fonds via ce canal…). Quelles solutions préconisez-vous pour changer cette donne ? 

En effet, nous sommes sur un marché financier où les acteurs restent le plus souvent attentistes et où les capacités de financement pourraient être significativement plus importantes, notamment sur le compartiment actions. Le changement souhaité prendra du temps mais à court terme, nous organiserons dès janvier un atelier de travail afin de réfléchir à l’optimisation des mécanismes de financement, par le biais de la BVMAC. À noter que notre bourse régionale accueillera prochainement à sa cote quatre nouvelles sociétés, ce qui accroîtra mécaniquement l’activité de marché. C’est un début et nous veillerons à ce que cette dynamique perdure.

Un dernier mot sur vous. Au cours des dernières décennies, vous avez fait de BGFI Bank, le premier groupe bancaire d’Afrique centrale. À l’heure de l’ultime bilan, quel héritage souhaiteriez-vous laisser ? 

Que mon parcours serve à rappeler une évidence : on peut réussir dans ce métier sans faire de politique, en restant concentré sur son projet et en déployant ce que j’appellerais, la logique des 4 C : la Clarté, la Conviction, la Concentration et la Cohérence. Si vous parvenez à garder ce cap, en toutes circonstances, et à unir vos équipes autour de ces valeurs, le succès sera au rendez-vous. Le tout, en gardant toujours à l’esprit que le développement d’une organisation se fait dans la durée; comme une maison que l’on construirait brique après brique. J’ose espérer que c’est cette image de bâtisseur, patient et tout entier à sa tâche, que l’on retiendra de moi.

Propos recueillis par Léopold Muta (Forbes Afrique)

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