Face à l’enlisement de la situation sécuritaire dans le Nord-Kivu, Jean-Jacques Wondo crève l’abcès : «L’EAC est un protagoniste de l’enlisement sécuritaire à l’Est de la RDC »

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Expert en questions militaires, Jean-Jacques Wondo, citoyen congolais résident en Europe, pense que la présence de la République Démocratique du Congo (RDC) au sein de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) est un danger pour la survie de la RDC en tant que Nation. Avec l’enlisement de la situation sécuritaire dans la partie Est de la RDC, marquée spécialement par la percée des «terroristes» du M23, l’autorité de l’Etat s’effrite de plus en plus dans cette partie de la République. Entre-temps, Kinshasa se soustraire de ce piège avec l’appui de la Force régionale de l’EAC. Grave erreur ! C’est la position qu’a défendu Jean-Jacques Wondo dans un entretien le site d’infos en ligne actualite.cd. «L’EAC est un protagoniste de l’enlisement sécuritaire à l’Est de la RDC», soutient-il. Entretien.
Pourquoi l’armée congolaise ne parvient-elle pas à stopper l’avancée des rebelles ? Est-ce une crise d’effectif, un manque de munitions, l’affairisme ou une faiblesse face à un ennemi soutenu par le Rwanda?
Je ne pense pas que les difficultés actuelles rencontrées par l’armée congolaise (FARDC) soient exclusivement dues à l’appui du Rwanda au M23. Contrairement à d’autres idées reçues, le rapport de forces sur le terrain en termes de matériels bruts et d’effectifs est théoriquement très largement favorable aux FARDC par rapport à l’armée rwandaise (RDF). Ce n’est pas pour rien que le Think tank américain Global Firepower classe généralement les FARDC parmi les 10 premières armées du continent africain. Je ne cesse de le dire que la faiblesse des FARDC est à la fois systémique, structurelle et fonctionnelle. Les causes des contre-performances des FARDC sont multiples en commençant par manque de décisions politiques claires et cohérentes et une absence de vision stratégique globale de la défense et de la sécurité congolaise Tout d’abord les FARDC restent une armée hétéroclite ayant intégré en son sein plusieurs combattants des groupes armés, dont la réforme semble délibérément sabotée par manque de volonté politique. L’armée congolaise souffre également d’un déficit de leadership militaire et d’un commandement peu compétent, désorganisé, dysfo-nctionnel. On note le déficit de formation de beaucoup de cadres de commandement entraînant une faible capacité managériale à tous les niveaux (Planning, Exécution et Évaluation).
Sur le terrain des opérations, plusieurs officiers se plaignent de chevauchements dans la chaîne de commandement et d’absence d’unicité de commandement. On ne sait pas réellement qui commande les opérations militaires entre les différents échelons de commandement (Sous-chef d’état-major des FARDC ? La Maison militaire de Kinshasa ? L’état-major avancé dépendant de Kinshasa ? Le Gouverneur militaire ? Le Commandant de la 3ème zone de défense ? Le Commandant de la 34 ème région militaire au Nord-Kivu ? Les Commandants des secteurs opérationnels ? Le Commandant de la task force de la Garde républicaine ? etc. A ces faiblesses, on peut ajouter la non maîtrise des effectifs de l’armée, l’absence de tableaux organiques et de tableaux de dotations pour permettre une vue d’ensemble de l’armée ainsi que de leur matériel. Les unités au combat font preuve de très faibles capacités opérationnelles sur les plans de manœuvres et logistiques. On est incapable de planifier et d’organiser des opérations coordonnées interforces et interarmes entre les unités de couverture (infanterie), les unités de défense principales (blindées, mécanisées artillerie), les unités spéciales et l’appui aérien.
A cet imbroglio au niveau de la gestion des opérations militaires, il faut ajouter la présence de certaines unités militaires indépendantes du commandement opérationnel local et de la région militaire. Sur le terrain, on note une absence de motivation des troupes combattantes. Il nous revient de toutes les sources interrogées que les militaires déployés au front ne sont pas motivés et ne sont pas correctement pris en charge, notamment en cas de blessures ou de décès. En conséquence, les soldats rechignent à s’engager à fond dans les combats et à obtempérer aux ordres de leurs chefs qu’ils accusent, à tort ou à raison, de détourner leurs primes. Il faut noter que les revers militaires subis par les FARDC depuis juin 2022 ont occasionné la déstructuration des unités sur le terrain. Plusieurs soldats ont déserté leurs unités déjà en sous-effectifs à cause des chiffres gonflés par leurs chefs pour détourner l’argent, les primes des fictifs et les dotations en carburant et en matériels logistiques. Plusieurs chefs militaires, à tous les échelons, profitent des budgets additionnels des opérations pour se faire une santé financière. Cette cannibalisation des moyens militaires impacte négativement l’efficacité des opérations militaires.

Plusieurs sources signalent, dans certains fronts, la présence des groupes armés locaux qui agissent aux côtés des FARDC pour contrer les rebelles. Jusqu’à quelle limite faut-il encourager cette vieille pratique au Congo?
Il faut savoir ce que l’on veut pour la défense nationale du territoire congolais. Cela revient à comprendre et à intérioriser le rôle de l’armée et du facteur militaire dans un État. Ce sont des éléments fondamentaux que je développe dans mon livre sur la sociologie politique militaire africaine, disponible sur Amazon. Dans cet ouvrage, je mentionne que la mission première d’une armée est la défense nationale. C’est-à-dire la mission d’assurer la sécurité de l’État, la défense de ses intérêts et la protection de ses populations et territoires vis-à-vis d’une menace extérieure. Le tout dans le cadre d’une organisation pyramidale. Or une armée de milices ne travaille pas pour la défense de la nation, mais se bat pour défendre les intérêts privés de ses chefs avec des actions limitées localement sur le plan géographique. Cette armée ne répond qu’à l’autorité de ses chefs, qui sont généralement des seigneurs de guerre. Comment conjuguer l’articulation des opérations entre ces milices et l’armée régulière en cas d’une menace généralisée ? Sous quels statuts juridiques seront repris ces miliciens ? Dans un État politiquement fragile où l’on voit resurgir des relents communautaristes, le recours aux groupes armés, à base généralement ethnique, ne présageait-il pas l’échec de la construction de la nation congolaise et le début de sa balkanisation ? Le recours aux miliciens ne ferait que déplacer le problème de la fondation de l’Etat congolais du fait de l’incapacité politique de doter la RDC des forces de défense et de sécurité robustes, républicaines, professionnelles et nationales. C’est à proscrire !

Les rebelles s’approchent de Goma. Faut-il compter sur l’appui de la force de l’EAC?
Que peut faire la force régionale de quelques milliers de soldats de l’EAC là où environ 20.000 casques bleus de la MONUSCO sont incapables de ramener la paix depuis plus de 20 ans ? Absolument rien. La solution ne se trouve nullement en la force régionale au sein de laquelle le Rwanda fait partie des renseignements, même si leurs officiers ont été priés de quitter la RDC. Ils poursuivent leurs missions de l’autre côté des frontières. Nous devons avoir une conscience historique que les Etats de l’EAC sont partie prenante active de la crise qui ronge l’est de la RDC pour avoir été à la base de l’invasion du Zaïre en 1996 pour des motivations géoéconomiques. Le déploiement de la force de l’EAC répond à l’objectif non avoué de maintenir la RDC dans un ordre géopolitique d’un pays militairement vaincu. La preuve en est qu’aujourd’hui les FARDC sont interdites d’entrée dans les territoires occupés par le M23 et laissés sous contrôle de la Force de l’EAC. C’est ni plus ni moins une perte de souveraineté sur une partie du territoire national.
La situation sécuritaire instable de l’est de la RDC et la guerre du Rwanda en RDC sont à placer dans le continuum des dynamiques géopolitiques qui règnent dans la région des Grands-Lacs après le génocide rwandais (avril 1994) et la chute de Mobutu (mai 1997) consécutif à la fin de la Guerre froide, dans un contexte international de mondialisation qualifié de «New scramble for Africa», c’est-à-dire la «ruée sur les matières premières de l’Afrique utile et rentable».
En réalité, derrière l’argument sécuritaire invoqué par les Etats de l’EAC pour justifier le déploiement de la force régionale, les vrais mobiles de ces interventions militaires restent éminemment mercantiles et économiques. L’enjeu reste le réinvestissement militaire des territoires qu’ils ont occupés et contrôlés entre 1996 et 2002 et dans le but d’opérer une nouvelle redistribution de la carte économique dans une zone très riche en diverses ressources naturelles, minières et énergétiques en vue de consolider leurs positions économiques dans l’Est de la RDC.
Pour le Rwanda, c’est une triple question de survie politique, économique et démographique d’un régime ethniquement hégémonique.

Peut-on espérer un résultat du sommet de Bujumbura?
Rien de positif pour la RDC ne sortira de Bujumbura. L’EAC est un protagoniste de l’enlisement sécuritaire à l’Est de la RDC. Il n’y a pas que le Rwanda qui soutient le M23, mais aussi l’Ouganda. Citez-moi un seul État de l’EAC qui a condamné ouvertement l’agression rwandaise du Congo ? Ce sommet qui se tient après les revers militaires subis par les FARDC autour de Kitshanga a pour but de pousser les autorités congolaises à négocier. C’est la stratégie de «fighting and talking» de Paul Kagame.
La RDC, actuellement dans l’impasse militaire avec les territoires occupés que vous avez mentionnés, ne pourra obtenir aucun dividende diplomatique de Bujumbura sans succès militaires substantiels contre le M23 et le Rwanda sur le terrain». Ne rêvons pas !
Avec actualite.cd

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