Près de 44 millions d’électeurs, sur environ 100 millions d’habitants de cet immense pays d’Afrique centrale qu’est la République Démocratique du Congo (RDC), étaient appelés à élire, mercredi 20 décembre 2023, leur président, leurs députés nationaux, provinciaux et conseillers communaux. À cet effet, le chef de l’État sortant, Félix Tshisekedi, brigue un second mandat face à une opposition morcelée, lors d’une élection à un seul tour tenu dans un climat politique et sécuritaire très tendu. Désavouant le processus électoral, les principaux candidats de l’opposition avaient dénoncé, dès le jour du scrutin, le «chaos» entourant cet évènement qui aurait dû être une grande célébration des valeurs démocratiques, mais s’est vite transformé pour beaucoup en frustrations. L’organisation de ces élections laisse pantois et risque d’embraser le pays, si l’on y prend garde.
A Kinshasa, comme ailleurs, les élections
se sont déroulées dans un certain désordre causé par des anomalies relevées lors du vote : des retards de livraison de kits électoraux, des défaillances dans l’ouverture des bureaux de vote ainsi que des dysfonctionnements dans les systèmes de vote électronique. Certains Congolais n’ont donc pu voter. Pour la Commission électorale nationale indépendante (CENI), chargée d’organiser le scrutin, une prolongation des élections de quelques jours s’imposait pour permettre aux électeurs Congolais qui n’avaient pu voter le jour du scrutin à le faire. Cet allongement des jours a provoqué le courroux des leaders de l’opposition qui jugent cette opération illégale. Ils rejettent en bloc le scrutin qu’ils qualifient de «simulacre d’élections» et demandent «l’annulation immédiate de ces élections chaotiques entachées de fraudes massives».
De lourdes accusations contre le président de la CENI, Denis Kadima, après ce que beaucoup ont perçu, le 20 décembre 2023, comme un fiasco électoral. Ce «chaos», contre lequel quelques leaders mettaient en garde, ces derniers temps, aurait-il dû et pu être évité ?
Certaines personnes, dans ce pays, sont si prévisibles qu’elles se comporteront toujours de la manière que l’on sait. Pour Denis Kadima, ces élections devaient pourtant être l’occasion d’asseoir une crédibilité malmenée par des suspicions qui avaient surgi de partout, lorsque le président, Félix Tshisekedi, l’avait proposé, en 2021, pour diriger cette Commission. Ceux qui décriaient alors sa candidature auront, à présent, beau jeu d’affirmer que ce «chaos» était voulu, pour faciliter la fraude, en faveur du président sortant, le candidat n° 20. «Un chaos délibérément voulu, planifié pour que Félix Tshisekedi l’emporte dans des élections frauduleuses », dénonce l’opposition qui proteste contre les irrégularités constatées lors des opérations de vote.
Comment les blâmer, dans un environnement politique si souvent fanatisé, où les contempteurs ne voient, dans ce 20 décembre, qu’un fiasco sans nom, tandis que les partisans du pouvoir s’évertuent à tout relativiser, envers et contre des insuffisances patentes ! Même le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président, Joseph Kabila, qui boycottait ces élections s’y est invité, pour exhorter la population à… se prendre en charge, au nom de l’article 64 de la Constitution, au cas où dit-il, «leur cour Constitutionnelle ne sortirait pas la RDC de l’opprobre, en annulant purement et simplement ces scrutins». L’on en oublierait presque la responsabilité du même Kabila dans les choix qui ont plongé le pays dans l’opprobre en question.
LE VOTE BIAISÉ DE LA DIASPORA
L’absence d’organisation de ces élections, dénoncée par les détracteurs du régime en place, s’est vérifiée notamment dans la diaspora où les élections ont été organisées dans cinq pays (La Belgique, la France, le Canada, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud). Au vu du nombre des inscrits, qui représentent 0,03% du total, ces résultats ne sont pas significatifs. Néanmoins, le score de quelque 80% des voix qu’y a réalisé a été célébré dans certaines régions qui lui sont acquises. Mais des questions se posent quant à la validité des votes exprimés.
Dès l’abord, quel était le nombre réel d’enrôlés et des votants ? Ensuite, quelle est la qualité des votants à ce scrutin : n’ont-ils pas acquis la nationalité du pays d’accueil ? Sont-ils des résidents permanents, des demandeurs d’asile, des réfugiés reconnus, des sans-papiers (n’ayant ni un titre de séjour du pays d’accueil, ni un passeport congolais) ? Selon plusieurs sources concordantes, toutes ces catégories de Congolais de l’étranger ont pris part au vote. Ce qui est illégal. Car certains, de part leur statut, n’y ont pas droit. Il s’agit là d’un grand embrouillamini ou d’«un gigantesque désordre organisé», pour paraphraser le cardinal Fridolin Ambongo. Cette opération – que d’aucuns qualifient de fraude- orchestrée par la Céni, et dont les médias se sont fait l’écho, a terni l’image de l’une des «institutions d’appui à la démocratie» de la RDC à l’international.
Compte tenu de cet état de fait, le «Bataillon Front populaire», un mouvement des Congolais de la diaspora en France, a organisé une marche, samedi 23 décembre, pour contester les élections. Une réussite sans faille. Par contre à Kinshasa, les éléments de la police nationale congolaise ((PNC) étaient déployés, mercredi 27 décembre, sur les points chauds de la capitale, dans le but d’étouffer la marche de l’opposition qui exige l’annulation des élections en raison des irrégularités enregistrées. Un vrai démocrate en perdrait son latin !
L’OPPOSITION EXIGE UN NOUVEAU SCRUTIN AVEC UNE CENI RECOMPOSÉE
Les principaux candidats de l’opposition demandent une nouvelle élection avec une Céni recomposée. Et que diraient-ils, si la même Céni venait à proclamer l’un d’eux vainqueur? En tout cas, les Congolais seront tous admiratifs si, en dépit de cette désespérante organisation, les résultats, dans une transparence convaincante, proclamaient vainqueur un autre que Félix Tshisekedi. Car, les seuls résultats dont on ne doute pas dans l’opinion, dans certains pays d’Afrique, sont ceux qui donnent un président sortant battu.
La confiance des électeurs, essentielle, pour que la victoire d’un sortant soit reconnue et admise sans heurts, est déjà en partie abîmée. Denis Kadima devait, avec des élections impeccables, le 20 décembre dernier, asseoir définitivement sa crédibilité. Le pari semble perdu. Et la proclamation du vainqueur pourrait être suivie de troubles, dans un pays à l’histoire politique agitée et surtout marquée par la situation sécuritaire dans l’Est, qui connait un pic de tension depuis deux ans avec la résurgence de la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda.
DES ÉLECTIONS IMPECCABLES ÉTAIENT POSSIBLES
D’aucuns diront que l’on ne voit pas d’élections impeccables, nulle part. Surtout pas dans un pays aussi vaste comme la RDC (2.345.000 km2). Néanmoins, on peut rétorquer qu’il arrive tout de même que l’on organise des élections parfaitement acceptables sur des territoires autrement plus vastes. Après tout, pourquoi Denis Kadima a-t-il accepté cette charge, s’il ne pouvait y faire valablement face ! Le salut de la RDC passe aussi par l’aptitude de ses cadres à ne pas voir que les privilèges et autres sources de jouissance dans les fonctions auxquelles ils accèdent. On ne cherche pas à diriger un peuple dont on ne peut résoudre les problèmes. Il est des fonctions dans lesquelles l’on ne peut se contenter de faire de son mieux, le mieux de la médiocrité ne pouvant être guère que médiocre ou moyen.
Être responsable nécessite un savoir-faire. Et l’échec guette, lorsque les limites d’un homme deviennent celles d’une entreprise, d’une institution, d’un État. Qu’un peuple se choisisse délibérément un dirigeant moyen, soit ! Il saura ne s’en prendre qu’à lui-même, si ce dernier le faisait végéter à un niveau quelconque. Mais, le pire, pour une nation, est de devoir subir un médiocre qu’elle n’a pas choisi.
Robert Kongo (CP)