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Avec des échanges économiques qui se sont chiffrés à 45 milliards de dollars (près de 41 milliards d’euros) en 2021, Dubaï se positionne comme un acteur de choix dans le commerce avec l’Afrique. Des chiffres que les autorités locales veulent accroître, avec l’ambition d’atteindre 544,5 milliards de dollars (494 milliards d’euros) d’échanges totaux non pétroliers d’ici 2026. Reportage.

Il suffit de se promener entre les immenses tours de verre de la «ville dorée» – surnom octroyé à la métropole émiratie, qui figure dans le Top 5 des villes les plus luxueuses du monde – pour comprendre qu’une empreinte africaine se dessine progressivement dans cette cité où luxe et argent occupent une place prépondérante. Selon les chiffres officiels, plus de 500.000 résidents africains seraient établis à Dubaï.

Depuis quelques années en effet, en plus des hommes d’affaires indiens d’Afrique de l’Est, de nombreux cadres et dirigeants économiques africains ont fait le choix de Dubaï : Égyptiens, Éthiopiens et Kényans, proches géographiquement, mais aussi Marocains, Algériens et Tunisiens, avantagés et appréciés entre autres pour leur maîtrise de l’arabe, et Sud-Africains en majorité blancs qui y forment une communauté importante depuis les années 1990. Plus récemment, ce sont les Ouest-Africains qui ont été gagnés par la fièvre de la ville dorée : les Nigérians aisés, notamment, ont établi leur base arrière à Dubaï où ils disposent de résidences secondaires et nouent des contacts d’affaires, notamment pour acheter des biens et des services destinés à alimenter les activités qu’ils mènent dans leur pays.

En juillet 2022, United Bank for Africa (UBA), le groupe bancaire panafricain présidé par le milliardaire nigérian Tony Elumelu, a décidé d’élire domicile dans l’émirat en y lançant officiellement sa première succursale, qui niche dans les locaux huppés de l’imposant Dubaï International Financial Centre (DIFC), principal hub financier de la région MEASA [Moyen-Orient/Afrique/Asie du Sud : 72 pays totalisant une population approximative de 3 milliards d’habitants et un PIB nominal de 7,7 billions de dollars américains, soit 7 billions d’euros, NDLR] et centre régional prisé des plus grandes institutions bancaires internationales (Barclays, Citibank, HSBC, Standard Chartered…).

S’exprimant lors du lancement de cette nouvelle filiale, Tony Elumelu a déclaré que l’«expansion internationale [du groupe] serait incomplète si [celui-ci n’était pas présent dans le Golfe]», précisant que l’activité d’UBA DIFC Branch «[faciliterait] le financement des transactions commerciales entre le Moyen-Orient et l’Afrique, permettant ainsi le financement du commerce et les investissements», confirmant le fait qu’«au fil des ans, le Golfe [qui compte un nombre croissant de clients potentiels et hommes d’affaires issus du continent, NDLR], et plus particulièrement les Émirats arabes unis, sont devenus une passerelle commerciale pour l’Afrique».

Renforcer les échanges bilatéraux

Un engouement que confirme Mohammad Ali Rashed Lootah, président de Dubaï Chambers, depuis son bureau offrant une vue imprenable sur la Dubaï Creek, cœur névralgique de la cité : «Nos échanges avec l’Afrique ont connu une augmentation de 60 % récemment». Et ces chiffres devraient continuer de croître avec «l’ouverture de nouveaux bureaux en Afrique du Sud et au Nigéria en juin et novembre 2023 pour un total de 7 représentations actuellement [Éthiopie, Ghana, Mozambique, Kenya, Égypte, Afrique du Sud, Nigéria, NDLR], ainsi que l’ambition de mettre en œuvre des initiatives qui incitent les opérateurs locaux à investir en Afrique pour dépasser le cadre des simples échanges et renforcer la croissance de la relation entre Dubaï et le continent», précise le dirigeant émirati.

Reflet de cette volonté, le Global Business Forum Africa, plateforme dédiée à l’établissement de liens bilatéraux avec le continent lancée en 2013, et qui attire chaque année davantage de personnalités – parmi lesquelles plusieurs présidents africains ayant jugé bon de se déplacer en personne, comme le Rwandais Paul Kagamé ou la Mauricienne Ameenah Gurib-Fakim. Plus récemment, les Émirats se sont engagés à investir 4,5 milliards de dollars (un peu plus de 4 milliards d’euros) pour aider les pays africains à accélérer la mise en œuvre de projets d’énergie propre.

Annoncé en grande pompe par le président désigné de la COP28 – et directeur général d’Abu Dhabi National Oil Co, 12e producteur mondial de pétrole et de gaz –, le sultan Ahmed Al-Jaber, lors de l’Africa Climate Summit tenu en septembre dernier à Nairobi (Kenya), le fonds alloué à cette initiative associera plusieurs acteurs dont le Fonds d’Abu Dhabi pour le développement, l’Etihad Credit Insurance (agence de crédit à l’exportation du pays), Masdar (l’entreprise d’énergie propre d’Abu Dhabi), et AMEA Power (entreprise d’énergie renouvelable basée à Dubaï).

PDG de cette dernière, Hussain Al Nowais indique : «Nous avons une belle empreinte avec de multiples projets porteurs qui ont été ou sont en cours de réalisation comme au Togo», pays d’Afrique de l’Ouest avec lequel AMEA Power a signé en décembre 2023 un protocole d’accord de financement s’élevant à plus de 21 milliards de francs CFA (32 millions d’euros) pour la construction de l’extension de la centrale photovoltaïque de Blitta – située à environ 260 km de Lomé – dont la capacité passera ainsi de 50 à 70 MW, puis à 100 MW à terme, ce qui en fera la plus grande centrale solaire d’Afrique de l’Ouest.

Un fort attrait auprès des entreprises du Continent

Porte d’entrée du marché africain pour de nombreux groupes internationaux, Dubaï est également une passerelle pour les groupes africains en quête d’expansion sur les marchés internationaux. Le fort attrait qu’exerce l’émirat sur les opérateurs économiques du continent se traduit ainsi par «un nombre d’entreprises africaines enregistrées dans notre institution qui ne cesse de progresser et s’élève aujourd’hui à plus de 19.000 membres actifs», confie Mohammad Ali Lootah. Pour ces entreprises, principalement actives dans l’import-export, Dubaï constitue en effet une zone d’approvisionnement en produits chinois et indiens plus accessible que Shanghai ou Bombay, notamment grâce à la compagnie Emirates [qui dessert aujourd’hui plus de 150 destinations sur les 6 continents, NDLR] et le port de Jebel Ali [Dubaï est classée 11e place maritime mondiale dans le classement One Hundred Ports 2023 édité par l’historique Lloyd’s List, NDLR], ainsi qu’à la simplification des opérations de dédouanement.

Sur le terrain, l’entrepreneur polonais Hubert Keh Zarzecki, PDG de la société HTG Industry – l’un des leaders dans la fourniture d’usines «clés en main» de conditionnement de boissons sur le continent qui compte un bureau à Senlis (France) et un autre à Dubaï, et enregistre un chiffre d’affaires consolidé s’élevant aujourd’hui à 250 millions d’euros par an – a «remarqué, ces dernières années, que la plupart de [ses] partenaires africains sont présents aussi à Dubaï». Une ruée vers la ville dorée qui s’explique avant tout par les nombreux avantages qu’offrent la cité émiratie et plus globalement le pays en matière de business.

Une destination business friendly

De fait, les Émirats arabes unis comptent de toute évidence parmi les régions les plus attractives du monde, tant pour les affaires que pour le quotidien. En 2023, le «nouveau tigre du Moyen-Orient» a ainsi été classé 10e économie la plus compétitive sur 64 par le Global Competitiveness Report du World Economic Forum [dans le détail, le pays se classe à la 4e place en termes de performances économiques; 8e position pour l’efficacité de ses pouvoirs publics; 16e pour l’efficacité de ses entreprises, et 26e au niveau des infrastructures, NDLR]. Pour Hubert Zarzecki, «le climat favorable tant en termes d’affaires, d’offres de soins médicaux et de possibilités de formations académiques pour leurs familles fait que la plupart des décideurs africains sont disponibles à Dubaï et évidemment cela crée de vrais réseaux».

Parmi les atouts de taille de l’émirat, comme l’explique Phillipe Goffin, homme d’affaires actif dans l’industrie fiduciaire en Guinée-Conakry et en République Démocratique du Congo notamment, «les bénéfices intéressants liés aux zones franches [Dubaï en compte aujourd’hui 35, NDLR] offrant des avantages fiscaux et facilités d’établissement. Chacune d’entre elles possède ses réglementations propres avec ses modèles de contrat en ce qui concerne l’emploi de la main d’œuvre. Une espèce d’État dans l’État qui permet d’avoir une plus grande facilité parce qu’autrement, lorsque qu’une personne veut entreprendre à Dubaï, elle doit généralement avoir des accords avec un local que l’on appelle un sponsor.»

Entre exonération des charges fiscales – il y a d’ailleurs plus d’accords de non double imposition entre Dubaï et les pays africains qu’entre chacun des pays africains pris indépendamment –, quasi-inexistence des impôts sur le revenu, les bénéfices et la fortune, droit à la détention exclusive de l’entreprise en zone de libre-échange par les investisseurs internationaux, facilités d’obtention de crédit, faible taux de TVA hors zone franche (5 % contre 21 % généralement en Europe), et souplesse des lois et procédures comparées aux lourdeurs bureaucratiques et procédurières du Vieux Continent, on comprend aisément que Dubaï s’impose comme un eldorado économique pour beaucoup, malgré l’entrée en vigueur, en juillet 2023, d’un nouveau taux d’imposition de 9 % sur les profits annuels des sociétés onshore dépassant les 375.000 AED (environ 95.000 euros).

Autre facteur d’attractivité non négligeable, la connectivité aérienne – l’ensemble de la zone, à la croisée de trois continents, tient sur quatre fuseaux horaires, ce qui facilite les déplacements – et, pour les Africains en particulier, la relative facilité d’aller et venir, surtout comparée aux difficultés que ces derniers rencontrent généralement pour obtenir des visas lorsqu’ils veulent se rendre en Europe ou aux États-Unis.

«Il suffit de regarder le ballet incessant des nombreux avions-cargos et civils décollant et atterrissant depuis les aéroports de Dubaï pour se rendre compte de la puissante connexion que possède cette ville située à un point stratégique entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe», explique ce partenaire de Giesecke+Devrient (G+D), groupe international de technologie et géant mondial de l’assainissement fiduciaire. En 2022, ce sont quelque 66 millions de passagers qui ont transité par l’aéroport international de Dubaï, dont 5 % de visiteurs africains selon le site Statista. Un volume important de personnes attirées par la cité émiratie, parfois qualifiée de véritable «Disneyland pour adultes».

Havre de stabilité politique et sécuritaire

Il faut dire que comme l’explique Hussain Al Nowais (AMEA Power), «les autorités ont beaucoup misé sur la sécurité pour offrir aux personnes désireuses de s’installer à Dubaï un endroit où il fait bon vivre.» Toujours selon Statista, le taux d’homicides volontaires y était de 0 à 2 pour 100 000 habitants, contre 20 à 52 en Afrique du Sud et au Nigéria, les deux plus grosses économies africaines. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’un nombre croissant d’hommes d’affaires africains, à l’image du milliardaire Mohammed Dewji, kidnappé à Dar Es-Salaam en Tanzanie en 2019, s’installent ici plutôt qu’à Lagos, Johannesburg voire Nairobi. Sans compter que la région, qui fait office de havre de stabilité politique, a constitué au fil des ans un refuge pour de nombreux hommes d’affaires issus de pays comme le Liban, le Koweït, l’Iran ou la Syrie.

En plus de l’aspect purement sécuritaire, le système scolaire performant et plurilingue, le développement d’une société de loisirs qui ne se cantonne plus seulement aux malls, et la possibilité de mener une vie sociale dynamique et riche en échanges propices aux affaires contribuent eux aussi à une qualité de vie qui convainc décideurs et entrepreneurs… même si ce tableau idyllique comporte aussi ses parts d’ombre.

Revers de la médaille

Ville de la démesure et de tous les excès, Dubaï attire les milliardaires des pays riches, mais aussi les travailleurs non qualifiés issus des pays les plus pauvres qui y triment dans des conditions qualifiées d’«esclavage moderne», comme en font état de nombreux rapports (Amnesty International, Fédération internationale des droits de l’homme, Organisation internationale du travail…) dont le dernier, publié en octobre 2023 par l’ONG britannique FairSquare, dénonçait le sort de migrants originaires d’Afrique et d’Asie du Sud ayant travaillé sous 42° pour que les bâtiments de la COP28 soient achevés dans les temps. La plupart de ces immigrés, originaires d’Asie, travaillent sur les chantiers de construction et, dans une moindre mesure, dans la restauration et l’hôtellerie. Vivant dans des conditions extrêmement précaires, ils sont généralement parqués dans des camps d’hébergement et privés de leur passeport par leurs employeurs.

Autre contrepartie à l’attractivité «stratégisée» de la cité-État émiratie : un contrôle absolu de l’information, doublé d’une surveillance et d’un contrôle très stricts. «Tout est simple à Dubaï, tant que l’on reste dans les clous et que l’on ne se mêle pas de politique», confie sous couvert d’anonymat un cadre installé sur place depuis une dizaine d’années. Une assertion confirmée par le rapport 2022 d’Amnesty International, qui fait état de nombreux manquements aux droits humains, particulièrement en ce qui concerne la liberté d’expression, d’association et de réunion, mais aussi les droits des femmes et des personnes réfugiées ou migrantes. Plus inquiétant : les Émirats sont également pointés du doigt en matière de discrimination, et de torture et autres mauvais traitements.

Enfin, cette «Mecque de l’argent facile» est aussi la terre bénie de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent et autres pratiques douteuses pour ne pas dire illégales. Dans le domaine aurifère, par exemple, «le commerce lucratif de l’or en Afrique de l’Ouest a un côté sombre et coûteux», décrit Abdelkader Abderrahmane, chercheur auprès de l’Institut d’études de sécurité (ISS) basé à Pretoria en Afrique du Sud. En effet, précise l’expert, «les divergences dans les données sur la production et le commerce de l’or entre le Mali et Dubaï, aux Émirats arabes unis (EAU), par exemple, révèlent un commerce illégal massif, en particulier dans le secteur minier artisanal. Ces transactions illicites privent ainsi les pays d’Afrique de l’Ouest de milliards de dollars à cause de vides juridiques et de procédures d’importations faibles qui facilitent le commerce illégal aux Émirats arabes unis».

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ainsi, détaille le chercheur, «bien que les Émirats arabes unis aient importé pour 1,52 milliard de dollars [1,39 milliard d’euros] d’or du Mali en 2016, Bamako n’a enregistré que 216 millions de dollars [198 millions d’euros] d’exportations. De même, en 2014, le Mali a déclaré une production d’or de 45,8 tonnes contre une importation des Émirats arabes unis en provenance du Mali de 59,9 tonnes.»

Une situation face à laquelle il s’avère nécessaire que le Mali, les États d’Afrique de l’Ouest et les Émirats arabes unis «renforcent à la fois leurs stratégies et procédures nationales, ainsi que leur coopération bilatérale et régionale pour combler les lacunes qui facilitent le commerce illégal de l’or», conclut le spécialiste de l’ISS.

Avec Forbes Afrique

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