Controverse autour de la piste d’aviation de Mulonde : Moïse Katumbi se défend : «On me cherche des poux sur la tête…»

945 61

Il a beau en avoir contesté la régularité, les résultats officiels de la dernière élection présidentielle ont été, pour lui, un cinglant désaveu : à peine plus de de 18 % des suffrages, loin derrière Félix Tshisekedi et ses 73,3 %. S’il a un temps paru sonné par la défaite – comme, du reste, l’ensemble de l’opposition congolaise –, l’ancien gouverneur du Katanga veut aujourd’hui reprendre l’avantage. C’est donc un Moïse Katumbi combatif qui nous reçoit dans l’une de ses résidences bruxelloises.

Du débat sur la révision de la Constitution engagé par le parti au pouvoir à la situation dans l’Est de la RDC, en passant par la dernière affaire qui lui est reprochée, liée à la réhabilitation d’une piste d’atterrissage non loin de la frontière zambienne, il a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Quant à la controverse qui entoure son projet de réhabilitation de la piste d’aviation de Mulonde, dans la province du Haut-Katanga, Katumbi ne va pas quatre chemins : «On me cherche des poux sur la tête, c’est tout !»

Interview avec Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Dans une interview début août, Félix Tshisekedi a dit de vous que vous étiez «borderline». Vous retrouvez-vous dans ce qualificatif ?

Moïse Katumbi : Peut-être le président ne connaît-il pas la définition exacte de ce mot. Ceux qui me connaissent savent que je suis constant dans mes prises de position et déterminé dans mes actions. Que je vais au bout de mes engagements.

Plusieurs cadres de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) se sont dits favorables à une révision de la Constitution. Qu’en pensez-vous ?

Savez-vous que lorsque Joseph Kabila était au pouvoir, c’est dans mon appartement, ici à Bruxelles, que nous nous réunissions avec Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ? À l’époque, nous aimions dire : «Pasi na yo, pasi na ngai.» «Mon malheur, ton malheur», c’était notre slogan. Nous montions des stratégies pour empêcher le président Kabila de changer la Constitution. Félix Tshisekedi était particulièrement opposé à toute modification. Aujourd’hui, nous avons une bonne Constitution. Rien ne justifie de la changer.

Mais certains points ne mériteraient-ils pas d’être revus ? Les dispositions portant sur la double nationalité par exemple ? Et une présidentielle à deux tours ne serait-elle pas souhaitable ? Vous-même avez exigé des réformes dans le passé…

Ce n’est pas à cause de la Constitution que des hommes armés tirent à balles réelles sur nos enfants au Kongo Central. Ce n’est pas à cause d’elle que l’argent de l’État est abusivement dépensé. Le problème qui se pose aujourd’hui à la RDC n’est pas liée à la Constitution. C’est un problème de gouvernance. C’est pour cela que je dis que Félix Tshisekedi doit terminer son mandat et partir. Il y a une vie après le pouvoir, il doit le savoir.

Mais il n’a pas dit qu’il souhaitait rester à la tête du pays…

Alors pourquoi veut-il changer la Constitution ? Un texte pour lequel on s’est autrefois battu, ensemble, contre Kabila !

J’ajoute que nous ne sommes pas naïfs. Si certains veulent y toucher, c’est pour permettre au président actuel d’effectuer un troisième mandat. Le reste n’est que de l’habillage.

Et si des réformes s’imposent ?

Aucune réforme ne s’impose. C’est une distraction, mais cela ne marchera pas. Je regrette que certains pensent davantage à s’éterniser au pouvoir plutôt qu’à l’exercer, au service de la population. Vouloir changer la Constitution à des fins personnelles, c’est prendre le risque de diviser le pays encore plus profondément qu’il ne l’est déjà.

L’opposant Martin Fayulu, qui avait revendiqué la victoire à la présidentielle de 2018, prône la cohésion nationale. Quelle est votre position ?

Le problème, c’est que nous avons eu des élections chaotiques dans ce pays, et Félix Tshisekedi manque de légitimité. Alors avec qui devrions-nous dialoguer, et pour parler de quoi? Le président lui-même nous répète que tout va bien ! La question n’est pas de savoir si l’on peut tous se retrouver autour d’une même table. Il y a, aujourd’hui en RDC, un gouvernement qui a la majorité au Parlement, toutes les provinces de ce pays sont dirigées par des gouverneurs… Il faut que tous ces gens se mettent au travail, et il faut réduire le train de vie de l’État.

Vous êtes accusé d’avoir entamé des travaux de réhabilitation d’un aérodrome chez vous, dans le Haut-Katanga, sans avoir demandé d’autorisation préalable. Que répondez-vous ?

Nous avons l’habitude que de faux dossiers soient montés contre nous. La piste dont vous parlez existe depuis 1970. C’est une région [située à 500 km de Lubumbashi] où les gens n’ont rien. J’ai eu les larmes aux yeux la dernière fois que j’y suis allé. Là-bas, il n’y a plus d’État depuis longtemps. Parler de développement dans le cadre du programme des 145 territoires ne veut rien dire là-bas.

Les gens m’ont demandé de l’aide, et je les ai aidés. J’ai construit une école, qui peut accueillir 600 élèves. J’ai aussi construit un hôpital, pour que plus jamais une femme et son bébé ne meurent faute de soins et d’infrastructures adaptées. On m’a même demandé de réhabiliter la route qui relie Mulonde à Lubumbashi – plus de 400 km. J’ai répondu que je n’avais pas les moyens. C’est là que l’on m’a fait remarquer qu’il ne servait pas à grand’chose de construire un hôpital si les médecins ne peuvent pas venir, si on ne peut pas y acheminer des vaccins ou des médicaments… Et c’est comme cela que décision a été prise de réhabiliter cette fameuse piste qui, de fait, se trouve dans une concession privée, la mienne.

Cette petite piste d’atterrissage que je suis en train de réhabiliter, est-ce vraiment cela la priorité du gouvernement ? Il y a la guerre dans l’Est, il n’y a pas d’électricité, pas d’enseignants…

Chaque année, je réhabilite les pistes de Ka-shobwe ou Kilwa par exemple, parce qu’elles sont en terre et qu’après la saison des pluies, elles ne sont plus en état. La loi elle-même dit que c’est au propriétaire d’entretenir les pistes qui se trouvent sur ses terres.

Et pourquoi ne pas avoir informé préalablement les autorités ?

On nous dit qu’il fallait remplir un formulaire. Mais ça, c’est si vous voulez construire une piste. Là, il s’agit d’une réhabilitation. Dans ce cas-là, vous n’avez pas besoin de demander d’autorisation – je vous renvoie aux textes de loi. D’ailleurs, je n’ai jamais demandé la permission de qui que ce soit pour réhabiliter la piste de Kilwa, et je le fais tous les ans !

Vous comprenez que le fait que l’on parle d’une piste qui se situe à moins de 100 km de la frontière pose question ?

Et alors ? Mon village, Kashobwe, se situe lui-même à 800 m de la Zambie ! Et sa piste d’atterrissage fait 2,3 km, soit près du double de la petite piste de Mulonde, qui pose aujourd’hui problème.

Mais, selon des sources proches de l’armée, celle de Mulonde pourra bientôt accueillir des gros porteurs…

Sur une piste de moins de 1 km ? Mais allez vérifier ! Encore une fois, celle de Kashobwe fait 80 m de large sur 2,3 km. Y avez-vous déjà vu des gros porteurs ?

On me cherche des poux sur la tête, c’est tout. Mais on oublie que quand le président Tshisekedi est allé inaugurer un pont à Kasenga [en octobre 2023], c’est sur une piste que j’ai fait construire que son hélicoptère s’est posé. Je le répète : on ne peut pas m’empêcher d’essayer d’aider les gens.

Début octobre, des militaires sont venus à Mulonde. Que s’est-il passé ?

La première chose qu’ils ont faite, ça a été de voler ma jeep et d’arrêter mon chauffeur. Ils ont même sorti des gens de prison et dit que j’avais l’intention de les utiliser. Mais Mulonde, c’est à 500 km de Lubumbashi! Il faudrait être idiot pour penser préparer quelque chose depuis là-bas.

Pensez-vous que vous pourriez être arrêté ?

Je n’ai rien fait, j’ai la conscience tranquille. Mais on sait qu’il y a de l’arbitraire dans ce pays. Regardez ce qui est arrivé à Chérubin Okende [ancien ministre membre du parti de Katumbi, retrouvé mort en juillet 2023]. Et Salomon Idi Kalonda [son ancien bras droit]. Il a été arrêté devant moi ! On veut faire taire les gens dans ce pays, mais cela ne marche pas comme ça. Je ne comprends pas qu’un président qui a été un opposant fasse des choses comme cela.

Le pouvoir, lui, pense que vous jouez les victimes…

Jamais ! Et dans le fond, cette petite piste d’atterrissage que je suis en train de réhabiliter, est-ce vraiment cela la priorité du gouvernement ? Il y a la guerre dans l’Est, il n’y a pas de routes, pas d’électricité, pas d’eau, pas d’enseignants… Les autorités n’ont-elles pas autre chose à faire? Moi, je ne suis pas quelqu’un qui pleurniche. Je suis quelqu’un qui agit. Quand il y a des problèmes, je trouve des solutions. Et j’assume ce que je fais.

Un rapprochement Katu-mbi – Kabila est-il envisageable et si oui, à quelles conditions ?

Je me suis réconcilié avec le président Kabila, ce n’est pas un secret, nous n’avons pas fait ça nuitamment. Il n’y a plus de problèmes entre lui et moi.

Vous avez été un des piliers de l’Union sacrée. Ne pourriez-vous pas trouver un terrain d’entente avec Félix Tshisekedi ?

Je suis allé vers lui quand il était en détresse. Mais la critique n’a jamais été tolérée au sein de l’Union sacrée, et c’est un problème.

Donc plus jamais d’alliance avec lui ?

Le train est passé, mais il reste un frère. Je lui souhaite bonne chance.

Serez-vous candidat en 2028 ?

Nous n’y sommes pas encore. Aujourd’hui, le pays va très mal. Rien ne fonctionne.

L’Union sacrée se vante pourtant de son bilan, y compris d’ailleurs en matière de respect des droits humains et de démocratie…

Tout cela est faux ! En RDC, on arrête des journalistes, des hommes politiques… Ceux qui vivent au Congo aujourd’hui sont, en réalité, en liberté provisoire. Même sous la présidence de Joseph Kabila, il n’y avait pas tant de prisonniers politiques… Jean-Marc Kabund, Mike Mukebayi, Seth Kikuni… Et Chérubin Okende, au nom de quoi est-il mort ?

Êtes-vous en train de faire de Joseph Kabila une référence, alors que vous avez passé trois ans en exil lorsqu’il était au pouvoir ?

Je suis parti en exil parce que je ne voulais pas qu’on touche à la Constitution. Mais voyez vous-même ! Comparez le respect de l’état de droit, regardez comment c’était avant et comment c’est maintenant, demandez aux Congolais ce qu’ils en pensent !

Revendiquez-vous toujours le poste de porte-parole de l’opposition ?

C’est ce que prévoit la Constitution.

Vous avez mentionné la guerre dans l’Est. Le gouvernement doit-il négocier les rebelles du M23 ou a-t-il raison de refuser ?

Je remarque surtout que sous Joseph Kabila, avec un budget de moins de 500 millions de dollars, l’armée avait réussi à mettre fin à l’aventure du M23 [la rébellion a été défaite militairement en 2013]. Aujourd’hui, le budget de l’armée est de plus de 2 milliards de dollars. Et l’on n’arrive pas à reconquérir le territoire national ? Il y a un problème. Il y a des gens qui font durer cette guerre parce que ça fait leur affaire, alors même que nos militaires sont mal payés.

Pour le reste, j’ai été parmi les premiers à demander à l’Angola de s’impliquer, et j’ai toujours condamné la présence des militaires rwandais et ougandais. Ils n’ont pas leur place sur notre sol. Il faut condamner les agissements de Kigali et Kampala si l’on veut qu’une solution soit trouvée.

Je n’accepterai jamais que l’on agresse mon pays, et je n’accepterai pas non plus que certains utilisent cette guerre pour s’enrichir. Il faut mettre fin rapidement et durablement à la souffrance de nos frères et sœurs de l’Est. La situation est très grave, et c’est inacceptable. Mais pour régler ce problème, il faut de la volonté et du savoir-faire.

Avec Jeune Afrique

Related Post

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights