Les ressortissants de certaines communautés congolaises d’appartenance se bombent le torse depuis la proclamation des résultats des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales et municipales du 20 décembre 2023 ! En effet, ils se disent avoir remporté celles-ci d’une manière indiscutablement éclatante et historique! Ils expliquent cette victoire par le fait qu’ils seraient exceptionnellement dotés de la conscience politique et de la discipline politique qui feraient cruellement défaut aux ressortissants des autres communautés d’appartenance! Sont-ce vraiment leur conscience politique et leur discipline politique ou plutôt leur conscience ethnique et leur discipline ethnique qui seraient à la base de leur succès électoral exceptionnel et troublant?
Les ressortissants de certaines communautés ethniques croient avoir marqué et gagné, de la manière la plus éclatante et la plus indélébile qui soit, les élections générales du 20 décembre 2023 ! Car, ces dernières ont notamment remporté le plus grand nombre de sièges de députés nationaux à travers le pays et particulièrement dans la ville-province de Kinshasa.
Leurs intellectuels organiques expliquent cet exploit électoral exceptionnel par la «conscience politique» et la «discipline politique» qui caractériseraient les ressortissants de ces communautés. Ces deux facteurs de succès électoral feraient cruellement défaut aux membres de l’écrasante majorité des autres communautés d’appartenance. Ceux-ci, étant politiquement non organisés, non conscients et non disciplinés, n’auraient pas compris, dans le fond, pourquoi ils devaient voter et pour qui ils devaient précisément voter. Ils auraient ainsi éparpillé et gaspillé leurs votes en les investissant dans des candidats qui ne leur seraient d’aucune utilité. Car, non issus de leurs propres communautés d’origine. Alors que les ressortissants des communautés politiquement organisées, conscientes et disciplinées ont essentiellement ou carrément privilégié les leurs propres.
PRESCIENCE POLITIQUE !
L’un des intellectuels organiques de ces communautés d’appartenance politiquement avisées écrit, noir sur blanc, sans aucune gêne, dans l’un des groupes WhatsApp les plus suivis et les plus influents du pays, textuellement ce qui suit: « Soyons quand même justes : Nos frères du Kasaï font preuve d’une conscience politique qui fait défaut à beaucoup d’autres. Si nous prenons l’exemple de Kinshasa, dans leur large majorité, les gens du Kasaï savent pourquoi ils votent. Ils élisent Fatshi, ensuite lui donnent un député dans leur circonscription et privilégient les leur dans la mesure du possible, en concentrant leurs votes sur eux. Alors que les Bakongo et les Bandundois, plus nombreux que les gens du Kasaï, on ne sait même pas s’ils comprennent pourquoi ils votent. Ils suivent l’argent, les tricots, pagnes et foulards et éparpillent leurs voix sur des multitudes des candidats. Ainsi, même dans cette Tshangu trop bandundoise, l’UDPS parvient à aligner 3 élus sur sa liste seule, tous Kasaïens, et les gens du Kasaï parviennent à aligner un nombre d’élus largement supérieur à leur nombre dans le district. Grâce à cette discipline de vote et aux voix qu’ils parviennent aussi à glaner auprès des Congolais des autres origines, les deux premiers à Mont-Amba autant que la majorité d’élus de ce district (6 sur11) sont des Kasaïens et les 3 premiers de Lukunga autant que la moitié des élus de ce district (7 sur 14) sont des Kasaïens. Ce n’est pas de la tricherie ni de l’hégémonisme, non, c’est une discipline politique. Nous sentons cette conscience politique dans nos familles. Même des jeunes gens sortant de l’adolescence savent pourquoi ils votent. Vous pouvez leur offrir des pagnes et des costumes comme vous voulez, ils voteront Fatshi et un député de son obédience, même s’ils ne l’ont jamais vu, de préférence un des leurs. En outre, semble-t-il, 47% des élus nationaux le sont sur des listes des regroupements politiques dirigés par les gens du Kasaï. Il faut avoir une grande prescience politique pour réussir pareil exploit, car avoir un regroupement politique qui atteint le seuil et qui obtient des élus n’est pas chose aisée.»
Cependant, soyons également justes en donnant la réponse adéquate à la question suivante : cet exploit électoral exceptionnel est-il vraiment dû à la conscience politique et à la discipline politique des ressortissants de ces communautés gagnantes des élections générales du 20 décembre 2023 ou plutôt à leur conscience ethnique et à leur discipline ethnique de très loin plus développées et plus entraînées que celles des ressortissants des communautés perdantes?
En effet, une grande confusion semble régner, dans l’esprit de beaucoup de Congolais, à propos du sens intrinsèque et profond de ces expressions sociopolitiques de conscience politique et de conscience ethnique. Ce qui nous pousse à tenter de les définir, de les analyser et de les expliquer en vue de leur meilleure compréhension.
CONSCIENCE POLITIQUE
La conscience politique, c’est la perception que chaque citoyen a de l’existence et de la façon dont il doit se comporter pour la bonne marche, la sauvegarde, la survie et la victoire de son parti politique et, par conséquent, pour le développement de son pays dans tous les aspects de sa vie. Elle s’acquiert par l’éducation politique, particulièrement dans les partis politiques, par le biais des intellectuels organiques du parti. Elle tient d’abord à l’idéologie politique qui sous-tend la perception de la conduite des affaires de l’Etat et de l’action de tout parti politique aspirant au pouvoir d’Etat. Il s’agit, par exemple, des idéologies politiques telles que le libéralisme, le socialisme, le communisme, le conservatisme, le fascisme, le totalitarisme, etc, qui guident, chacun, un parti politique ou un regroupement politique donné, mais jamais une ethnie.
La conscience politique a également trait à l’éducation politique, à la discipline politique, à l’idéal politique et aux moyens par lesquels un parti politique peut soit atteindre, soit maintenir cet idéal politique, etc. Elle est ouverte et inclusive. Elle appelle au rassemblement ou à l’unité de tous les partisans d’un parti politique, ressortissants de diverses ethnies, entités linguistiques et provinces, autour de l’idéologie politique à laquelle ils ont tous adhérée pour diriger le pays et de l’idéal politique qu’ils veulent tous soit concrétiser, soit maintenir et vivre. Ceux-ci se considèrent, dans ce contexte, non seulement comme des partisans d’un parti politique, mais aussi et surtout comme des citoyens d’un seul, unique et même pays qu’ils veulent tous servir ensemble.
La conscience politique vise, enfin, la promotion et la défense des intérêts, certes des partisans d’un parti politique donné, selon l’idéologie qui les anime et l’idéal politique qu’ils poursuivent, mais aussi et surtout de tous les citoyens et de tout le territoire national. Pour ce, ils votent, lors des élections à tous les niveaux du processus électoral, non seulement pour les candidats déjà sélectionnés de leur propre parti politique, mais aussi, en même temps et surtout pour les plus qualifiés et les plus compétents des candidats que leur parti s’est choisis. C’est-à-dire, des candidats capables de servir, comme il faut, tous les citoyens et tout le pays. Car, aucun parti politique digne de ce nom, qui a normalement accédé au pouvoir d’Etat, ne peut se soucier, sous sa gouvernance, que du progrès social de ses seuls partisans. Dans ce sens, la conscience politique est le préalable approprié et incontournable de la conscience nationale, socle de l’Etat-nation ou de la nation.
CONSCIENCE ETHNIQUE
La conscience tribale, ethnique ou communautaire est la perception que chaque ressortissant d’une tribu, d’une ethnie ou d’une communauté d’appartenance se fait de l’existence et de la manière dont il doit se comporter pour la bonne marche, la sauvegarde, la survie et le développement de cette dernière dans tous les aspects de sa vie. Elle s’acquiert par l’éducation tribale, ethnique ou communautaire, au sein des tribus, des ethnies ou des communautés particulières d’appartenance. Et ce, au moyen des intellectuels organiques internes, tribaux, ethniques ou communautaires. Elle a particulièrement trait à l’idéologie tribale (tribalisme), ethnique (ethnocentrisme) ou communautaire (communautarisme) ; à la discipline ou aux normes sociales tribales, ethniques ou communautaires ; à l’idéal que la tribu, l’ethnie ou la communauté s’est fixé ; aux moyens par lesquels elle peut l’atteindre ou le maintenir, etc. Evidemment, tout cela ne peut se faire que lorsque les ethnies sont socialement organisées. Ce qui est très rarement vrai pour l’écrasante majorité d’entre elles.
La conscience tribale, ethnique ou communautaire est fermée et exclusive. Elle ne vise que le rassemblement, l’unité, la promotion et la défense des intérêts des seuls membres d’une tribu, d’une ethnie ou d’une communauté d’appartenance déterminée. Elle exclut, dans le fond, les ressortissants des autres communautés tribales ou ethniques d’un pays. Ceux-ci sont traités, dans ce contexte, d’intrus ou d’étrangers. C’est pourquoi, lors des élections à toutes les étapes du processus électoral, ceux qui sont habités par la conscience ethnique ne votent généralement que pour les candidats originaires de leur tribu ou de leur ethnie. Qu’ils les connaissent ou non et quel que soit le niveau de leurs qualités, de leurs compétences ou de leurs capacités. Comme on peut le constater, la conscience ethnique constitue l’obstacle majeur à la formation et à l’éclosion de la conscience nationale, socle de l’Etat-nation ou de la nation.
ELLES S’OPPOSENT
On l’aura assurément réalisé : la conscience politique et la conscience ethnique ne correspondent pas. Elles ne visent pas les mêmes objectifs. La première, la conscience politique, est altruiste. La seconde, la conscience ethnique, est égocentrique. Les deux sortes de conscience s’opposent pratiquement sur tous les plans. En effet, en tout cas, la conscience ethnique n’est pas la conscience politique et la conscience politique n’est pas la conscience ethnique. Compte tenu de la réciprocité de ses ressortissants d’être différents ou de la pluralité humaine en son sein, aucune…
ethnie ne peut prétendre qu’ils appartiennent, tous, à un seul, unique et même parti politique. Qu’ils sont ainsi, tous, dotés de la même idéologie politique, de la même éducation politique, de la même conscience politique, de la même discipline politique… Qu’ils poursuivent, tous, le même idéal politique et disposent, tous, des mêmes moyens susceptibles de leur permettre d’atteindre ou de maintenir cet idéal politique. Il est certain qu’ils se trouvent plutôt, généralement, éparpillés dans tous les 911 partis politiques que compte, par exemple, la RD Congo.
Par contre, s’ils sont ressortissants d’une seule, unique et même tribu ou ethnie, il y a 99% de chance qu’ils soient, tous, généralement imbus de la même idéologie tribale ou ethnique, de la même éducation tribale ou ethnique, de la même conscience tribale ou ethnique, de la même discipline tribale ou ethnique; qu’ils aspirent, tous, au même idéal tribal ou ethnique, usent des mêmes moyens afin d’atteindre ou de maintenir cet idéal tribal ou ethnique et qu’ils n’élisent généralement, lors des élections, que des ressortissants de leur tribu ou ethnie. Malgré leur dispersion politique à travers les divers partis politiques, les ressortissants d’une telle tribu ou ethnie, enchaînés par leur idéologie tribale ou ethnique, sont donc susceptibles de manifester, partout et dans tous les contextes, leur conscience tribale ou ethnique, leur discipline tribale ou ethnique en vue d’atteindre leur idéal tribal ou ethnique par les mêmes moyens conçus par leurs intellectuels organiques tribaux ou ethniques. Surtout quand tous ces éléments ratio-sentimentaux sont naturellement réputés être plus poussés et plus aigües chez les ressortissants de cette ethnie que chez ceux des autres ethnies.
Dans le cas des élections générales du 20 décembre 2023, il semble indubitable que seules la conscience ethnique et la discipline ethnique, professées par les intellectuels organiques tribaux et ethniques et combinées aux manœuvres insondables de la Commission Electorale Nationale Indépendante de Denis Kadima Kazadi, sont au fondement de l’exploit électoral exceptionnel et troublant des prétendues communautés d’appartenance politiquement organisées, conscientes et disciplinées de la RD Congo. Et pourtant, tous les Congolais sont appelés à construire, ensemble, une seule, unique et même nation par le biais de la même conscience politique, de la même conscience nationale et de la même discipline politique nationalement partagée.
MUSENE SANTINI BE-LASAYON