Dans la compréhension de la situation récurrente de crise qui mine la partie Est de la RDC, Adolphe Muzito, leader du Nouvel Elan et de Lamuka, n’a jamais changé de langage ni d’approche de sortie de crise. Invité le week-end du journal Afrique de TV5 Monde, Muzito a réitéré ce qu’il a toujours soutenu : « Le Rwanda ne comprend que le langage de la force », avant d’ajouter : « Nous pensons qu’il faut faire la guerre au Rwanda et les repousser vers leur territoire ». Candidat à la présidentielle de décembre prochain, il se fixe quatre priorités à atteindre : la souveraineté militaire et territoriale, la souveraineté monétaire, la réduction de la pauvreté, et la réduction du chômage. Pour le moment, il n’est pas prêt à s’allier ni à Tshisekedi ni à Kabila, encore moins à la dynamique qui s’est créée à Lubumbashi entre Katumbi, Matata, Fayulu et Sesanga. Entretien avec TV5 Monde.
Je voudrais vous faire réagir sur le redéploiement du M23 dans plusieurs zones. Comment mettre fin à cette spirale de la violence dans l’Est de la RDC ?
Le Rwanda ne comprend que le langage de la force. Nous ne pouvons pas négocier avec le Rwanda parce que, en fait, comme le dit un proverbe africain : «Quand un petit poussin remplit une marmite, ce qu’il y a en dessous son père ou sa mère». Et nous sommes conscients que ce sont des multinationales qui financent cette guerre-là et qui utilisent le Rwanda. Nous pensons qu’il faut faire la guerre au Rwanda. Et nous allons profiter de ce moment de répit, où les forces sous-régionales sont sur le terrain, avec tout ce que nous constatons malheureusement, pour que nous puissions préparer la guerre. Vous savez que les Rwandais nous font ce qu’ils font parce qu’ils ont réussi à nous infiltrer et cela depuis l’année 1996. Ils ont profité du moment où le Congo n’avait pour budget que 100 millions USD. Je dis bien 100 millions de dollars américains.
Le Rwanda dément toujours infiltrer le M23. Pour vous, la stratégie, c’est une guerre frontale avec le Rwanda ?
Le Rwanda, c’est tout petit. C’est 1% du Congo, voyez-vous ? C’est même difficile de les attaquer. Mais, nous sommes bien obligés de les attaquer le moment venu pour les repousser vers leur territoire. A ce moment-là, nous pourrions négocier avec les vrais partenaires qui sont les multinationales qui profitent de cette situation pour nous prendre frauduleusement nos minerais. Nous pensons que si, officiellement, nous négocions avec les multinationales pour une exploitation officielle, ça nous permettra de mettre fin à cette situation une fois pour toutes.
Au-delà de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, quelle est la priorité du candidat Adolphe Muzito ?
Le candidat Adolphe Muzito a une offre politique qui a quatre priorités essentiellement. La première priorité, c’est la souveraineté militaire et sécuritaire. Il nous faut un budget d’un milliard et demi de dollars américains sur un horizon de cinq à dix ans pour donner à notre armée quinze à vingt milliards de dollars américains pour assurer la sécurité et l’intégrité du territoire.
La deuxième, c’est la souveraineté monétaire, parce que comme vous vous le savez, la souveraineté d’un Etat, c’est la monnaie, la défense et la diplomatie. Mais, la diplomatie dépend aussi de l’économie mais aussi de la défense. Il faut rétablir la souveraineté de notre monnaie qui est la base à partir de laquelle nous pouvons avoir une meilleure économie financière. Cette monnaie aujourd’hui ne remplit pas ses fonctions traditionnelles d’une monnaie. Elle n’est pas un étalon de valeur, elle n’est pas un bon intermédiaire d’échanges à cause de son instabilité. Elle n’est pas aussi une réserve de valeur. Alors nous, nous disons, il faut restaurer sa souveraineté.
La troisième priorité, c’est la lutte contre la pauvreté. Vous savez que le Congolais vit avec 1,5 dollar américain aujourd’hui. Il faut augmenter le revenu national grâce à de gros investissements pour franchir le seuil de souveraineté qui peut aller jusqu’à deux dollars et demi.
Le quatrième chantier, évidemment toujours dans ce cadre-là, c’est le chômage. Aujourd’hui, le taux de chômage est autour de 75% dans notre pays. Sur 60 millions que représente la population active, plus ou moins 15 millions seulement travaillent et 45 millions ne travaillent pas. Ce qui est plus grave, ce n’est pas le taux de chômage mais plutôt son augmentation.
Nous sommes en train de voir que sur le marché, il y a trois millions de jeunes qui arrivent chaque année. Sur un horizon de dix ans, nous aurons 30 millions de jeunes qui devront être résorbés comme chômeurs pour que l’on commence à inverser la courbe.
Que se passe-t-il entre vous et Martin Fayulu au sein de la coalition LAMUKA ? Est-ce que cette séparation est-elle définitive ?
Cette séparation est définitive, parce que M. Martin continue toujours à vouloir collaborer avec ceux qui ont créé la situation du chaos électoral que nous déplorons et pour laquelle, d’ailleurs, LAMUKA est née comme force de résistance, force de pression sur le pouvoir pour qu’on ait les réformes nécessaires afin que tout ce qui s’est passé en 2018 ne se reproduise pas. Il flirte avec Kabila qui est encore probablement avec Tshisekedi. Il flirte avec M. Katumbi qui était avec nous à LAMUKA et qui a basculé à l’Union sacrée. Et il quitte l’Union sacrée alors que là, avec Tshisekadi, ils ont monté ce qu’ils ont monté. Il a été au Parlement à travers son parti et ses députés. Il a été au Gouvernement. Ils ont voté la loi sur la CENI, la configuration actuelle de la CENI contre laquelle nous on s’est battu. Voilà que maintenant il se hisse comme celui qui doit lutter contre la configuration actuelle de la Cour constitutionnelle, alors qu’il est parmi ceux qui ont fait que nous soyons là. Et moi je ne suis pas d’abord avec cette façon de collaborer.
Vous n’avez pas signé la charte de l’Union sacrée, début avril, mais vous étiez aussi absent à Lubumbashi. Est-ce que vous ne craignait pas d’être un candidat isolé ?
Je ne serai pas isolé. D’abord, un candidat président de la République, c’est un homme face à un peuple. Donc il est en face d’un peuple. Deuxièmement, isolé pourquoi ? Parce que je serai avec le peuple. Moi, je n’ai pas envie, dans ma coalition, d’être avec des gens pour qui nous n’avons pas débattu des programmes. Je compte beaucoup sur les forces sociales, les jeunes au détriment des élites, ou plutôt des oligarques pour créer une vraie coalition sur fond d’un programme politique, économique et social.
Quelle est votre position concernant le projet de loi Tshiani dite de la congolité qui vise à réserver certains postes uniquement aux Congolais de père et de mère ?
Je suis contre cette loi. Si j’étais au Parlement, je voterai contre. Mais seulement, pour respecter la République, pour respecter les institutions telles qu’elles sont et telles qu’elles les ont reconnues, Monsieur Katumbi lui-même, il faut qu’il laisse jouer le jeu démocratique dans le Parlement, parce qu’il est au Parlement à travers son parti. Laissons jouer la démocratie. Il ne peut pas empêcher un Parlement qu’il reconnaît de discuter, de débattre d’une loi. Il faut débattre.
Est-ce que vous pensez que les élections auront lieu le 20 décembre 2023 ?
Il y a un problème d’abord du délai, ensuite un problème de la transparence du processus proprement dit. A propos du délai, j’ai l’impression que nous serons hors délai parce qu’il y a des étapes à franchir après qu’on a fini l’enrôlement qui n’est pas fini à ce jour.
Vous avez confiance à la Commission électorale ?
Je n’ai pas confiance parce que je me bats dans le cadre de la résistance. LAMUKA se bat pour qu’il y ait des réformes de manière à ce que la CENI soit réellement neutre plutôt qu’une CENI politisée comme c’est le cas aujourd’hui. Et donc nous disons, du point de vue qualitatif, le processus n’aura été bien conduit. Et du point vue du délai, je crois que nous serons hors-délai et parce que le processus tel qu’il conduit aujourd’hui ne nous permet pas d’être dans le délai.
Entretien de TV5 Monde, décrypté par Tighana M.