Accord de paix RDC – Rwanda : Gaspard-Hubert Lonsi Koko appelle à la vigilance face au bradage de la souveraineté économique de la RDC

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L’accord de paix signé entre la République Démocratique du Congo (RDC) et la République du Rwanda, le 27 juin 2025, à Washington, dans le cadre de négociation facilitée par les États-Unis, représente un pas important vers la paix dans la région des Grands Lacs africains, selon le gouvernement de Kinshasa. Néanmoins, l’objet de cet arrangement suscite des réactions mitigées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Dans l’interview accordée à notre correspondant en France, Robert Kongo, l’écrivain, essayiste et conférencier, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, livre son point de vue sur ce sujet d’actualité qui donne lieu à des interprétations divergentes.

Qu’avez-vous retenu de l’accord de paix RDC-Rwanda signé à Washington, le 27 juin 2025, sous la médiation des USA ?

Il ressort de cet accord l’engagement fondé sur le respect mutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale, de l’unité nationale et du règlement pacifique des différends dans l’optique d’une résolution politique négociée. Du point de vue des lois congolaises, s’impose le recours à l’article 214 de la Constitution en vue de l’entrée en vigueur dudit accord et de sa ratification par le président de la République. Dès la signature ou après la présentation par le gouvernement d’un projet de loi requérant l’autorisation du Parlement ? Et ce, dans quel délai ? Ne doit-on pas tenir compte de certains impératifs républicains et démocratiques ?

En quoi ce compromis est-il réellement différent des processus de Luanda et de Nairobi ?

Rappelons que les parties concernées ont déjà acté le concept d’opérations du Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et de désengagement des forces au regard de la levée des mesures défensives par le Rwanda (CONOPS) du 31 octobre 2024, conformément au processus de Luanda et au communiqué du deuxième Sommet conjoint EAC-SADC des chefs d’État et de gouvernement du 24 mars 2025 adopté le 25 novembre 2024 lors de la 6ème réunion ministérielle entre la RDC et le Rwanda. En réalité, l’accord de Washington corrobore les processus  de Luanda et de Naïrobi.

Les USA n’ont-ils pas fait pression sur Kinshasa et Kigali pour imposer cette signature ?

N’ayant plus besoin d’une intervention tierce pour s’approvisionner en minerais congolais, l’administration Trump espère tenir le Rwanda en laisse en guise de menace ultérieure contre Kinshasa en cas de non-respect des accords ratifiés. Ce stratagème sécurise aussi les intérêts du Qatar  par rapport aux négociations entre la RDC et l’AFC/M23. Il conforte l’obligation des parties à respecter le processus de Doa en vue de leur finalisation dans les termes souhaités.

Quel est l’enjeu majeur de cet accord, selon vous ?

Au-delà de la volonté de consolider le processus de paix, la promotion active d’une paix durable, la stabilité et le développement économique intégré dans la région des Grands Lacs africains, ainsi que le rétablissement des relations bilatérales normales entre la RDC et le Rwanda, il est question de concurrence entre les États-Unis, l’Union européenne et la Chine. L’herbe pâtit quand les éléphants se battent. Le souhait de garantir le plein respect des droits de la personne et le droit international humanitaire sous-tend évidemment des ambitions hégémoniques, le sol congolais regorgeant des minerais stratégiques indispensables aux technologies de demain.

D’aucuns disent qu’il ne s’agit nullement d’un accord de paix RDC- Rwanda, mais plutôt un accord commercial. Qu’en pensez-vous ?

La situation sociale serait invivable au Rwanda, en cas de rupture des relations économiques avec la RDC. Cela pourrait générer des tensions qui risqueraient de déstabiliser à nouveau la région du Kivu. Certes, il serait tout à fait logique de créer des sociétés mixtes pour l’exploitation commune et la cogestion des ressources transfrontalières. Mais une telle disposition ne devrait guère s’appliquer à tous les minerais, l’épanouissement des populations rwandaises étant dissociable du bien-être des Congolais.

Dès son arrivée au pouvoir, le président Félix Tshisekedi avait tendu la main au Rwanda pour construire une coopération économique, notamment autour des ressources minières de la RDC. Qu’est-ce qui change, aujourd’hui ?

L’intention n’était pas forcément mauvaise de la part du président congolais par rapport à la coopération régionale. Mais, les États n’ayant que des intérêts, le pragmatisme ne doit pas supplanter le patriotisme. La stabilité de la RDC ne doit en aucun cas être en toute naïveté exposée aux visées expansionnistes des pays à l’espace vital très réduit. Il serait prudent, me semble-t-il, de ne pas tenter le diable une seconde fois.

À propos de cet accord et de la médiation des américains, on parle de bradage des ressources minières congolaises. En d’autres termes, le gouvernement congolais veut céder ses minerais pour s’assurer du soutien de l’administration Trump. Partagez-vous cet avis ?

La RDC ne doit nullement brader sa souveraineté économique. Ses minerais doivent être négociés moyennant le transfert des technologies propices à son développement.  Nous devons rester particulièrement vigilants sur cet accord. Et la coopération avec l’administration Trump ne doit exclure aucun échange avec d’autres partenaires économiques. En plus, Kinshasa doit oser aligner la valeur de sa monnaie sur ses richesses évaluées à 24 billions USD en gisements des métaux hautement stratégiques non encore explorés.

Le dialogue national inclusif prôné par la CENCO et l’ECC, appelé Pacte social pour la paix, est-il encore possible ?

Peu importent les initiateurs d’un tel processus, la RDC ne peut faire l’économie d’un dialogue interne. Cela ne doit pas concerner que les acteurs politiques et rebelles obsédés par le partage du pouvoir, mais aussi les Congolais de souche injustement privés de leur nationalité d’origine du fait de la détention d’une citoyenneté étrangère. Seule la cohésion nationale mettra à l’abri du démembrement d’un État partageant ses frontières avec neuf voisins.

Peut-on encore parler de l’intégrité territoriale quand on sait que la coalition AFC/M23 continue d’occuper les deux provinces sœurs du Nord et Sud Kivu ? 

L’unité nationale ne s’obtiendra que par la somme de constructives opinions internes. Aucun pays limitrophe n’assurera la sécurité des populations congolaises, sauf si la sauvegarde de ses intérêts nécessite la stabilité de la RDC. Pour parer à l’éventualité d’une surprise désagréable, Kinshasa devra se doter d’une armée performante et patriotique, d’une police et une gendarmerie citoyennes, d’une diplomatie intelligente et d’un service de renseignement digne des enjeux relatifs à l’espionnage et au contre-espionnage.

Comprenez-vous que cet accord se fasse sans la coalition AFC/M23 ?

Il est désormais prouvé que la coalition AFC/M23 est une sorte de Cheval de Troie à la rwandaise. Par conséquent, le désarmement et la démobilisation de sa branche armée ne doivent pas faire l’objet d’une réinsertion au sein des forces armées congolaises. Cette structure ne doit pas non plus être reconvertie en un parti politique, le fait d’avoir sciemment versé du sang congolais ne devant garantir le droit à l’accès aux institutions étatiques.

Cet accord, une prouesse diplomatique ou un déni de réalité ?

Cela s’apparentera sans aucun doute à un exploit si, sur le terrain, l’on parvient à mettre un terme à une trentaine d’années de conflits civils et armés qui ont occasionné la perte de plusieurs millions de vies humaines, le déplacement des milliers d’individus, de nombreuses violations des droits de la personne, sans oublier les crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Ce sera une réussite par rapport à l’échec patent du plus gros et budgétivore contingent militaire des Nations Unies présent en RDC.

Le Rwanda semble avoir été blanchi de tous ses crimes commis en RDC. Une paix sans les victimes a-t-elle un sens ?

L’accord de paix signé à Washington ne prévoit en effet aucune sanction contre le Rwanda, reconnu comme pays agresseur par la résolution 2773 du Conseil de sécurité des Nations Unies. On semble ignorer que le pardon ne s’obtiendra pas sans la justice. Afin d’épargner la récidive dans les pays des Grands Lacs africains, il serait logique de démilitariser le Rwanda pour une durée d’une trentaine d’années en garantissant toutefois sa protection par une force interafricaine. Et les élections démocratiques inhiberaient les frustrations sociales. Comme moyen de dissuasion, les auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité devraient faire l’objet des sanctions de la part de la cour internationale de justice et la cour pénale internationale.

Pensez-vous que cet accord sera facile à mettre en œuvre ?

Cet accord est symboliquement capital, dès lors qu’il a été signé par le Rwanda qui a de facto reconnu sa présence militaire sur le sol congolais. Fort de ce constat, il revient maintenant à Kinshasa de saisir les instances appropriées pour faire valoir ses droits par rapport aux conséquences de la déstabilisation de son territoire et obtenir la mise en place d’un tribunal pénal dans le cadre de la justice transitionnelle. Par ailleurs, il faudrait renforcer les capacités sécuritaires, ainsi que les services d’espionnage et de contre-espionnage, pour se préserver d’éventuelles agressions. Enfin, avec neuf voisins, il serait impératif de passer des accords de non-agression et d’assistance mutuelle dans l’optique des relations d’indépendance dans l’interdépendance.

Propos recueillis par Robert Kongo (CP)

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