Depuis son départ, en janvier 2019, de la magistrature suprême, Joseph Kabila s’est totalement soustrait de la vie politique, se refusant à toute déclaration politique sur la marche du pays. On pensait que le divorce, fin 2021, entre le FCC, sa famille politique, et le CACH, allait peut-être le pousser à sortir de sa tanière. Il n’en a pas été le cas. Kabila est resté muet sur toute la ligne. A quelques mois des élections de décembre prochain, son silence intrigue au moment où des alliances se dessinent déjà dans la sphère politique. La toute dernière en date est cette rencontre à Lubumbashi entre quatre cadors de l’opposition, en l’occurrence Moïse Katumbi d’Ensemble pour la République, Matata Ponyo de LGD, Martin Fayulu d’ECIDé et Delly Sesanga d’ENVOL. Dans le camp de Kabila, le PPRD, le parti qui se réclame toujours de sa mouvance, a salué la dynamique de Lubumbashi. Pas Kabila, pour l’instant. Un mystère qu’il entretient de si belle manière depuis 2019.
Quatre ans après avoir cédé le fauteuil présidentiel à Félix Tshisekedi, l’ancien chef de l’Etat congolais, Joseph Kabila – que ses meilleurs ennemis préfèrent désigner sous sa casquette de sénateur à vie, lui déniant sournoisement la qualité de « président » – observe un mutisme déconcertant. Tant au sein des nouveaux dirigeants arrimés à la locomotive de l’UDPS qu’à celui d’une opinion publique aussi diverse que bruyante, les regards et les oreilles restent rivés et braqués sur ses fermes de Kingakati (Kinshasa) et de Kashamata dans la périphérie de Lubumbashi (Haut-Katanga), dans l’espoir de recueillir la moindre de ses déclarations sur les convulsions socio-politico-sécuritaires dans lesquelles se débat le pays. Mais au fil du temps et à huit mois de la fin du mandat de son successeur, Joseph Kabila a battu depuis longtemps son propre record du silence politique.
Il n’est pas rare, en se promenant dans les rues de Kinshasa (et dans une moindre mesure de celles des capitales provinciales), d’entendre des citoyens s’interroger les uns et les autres sur «le silence de Kabila». Les rares apparitions publiques du Raïs font invariablement le buzz sur les réseaux sociaux, mais se terminent presque toujours dans un inébranlable mutisme qui désoriente jusqu’aux plus farouches de ses adversaires politiques.
Les plus inquiets de tous étant ceux des anciens membres de son parti politiques (le PPRD) qui, sabordant la confortable majorité parlementaire acquise lors des législatives de 2018, ont migré dans une transhumance collective vers l’Union sacrée de la Nation sous la férule de Félix Tshisekedi. Ou encore ses anciens thuriféraires restés hors des institutions et qui, à intervalles réguliers, l’abandonnent et traversent la rue à grands renforts d’un tapage médiatique surréalistes. Des «trahisons» qui, là encore, laissent le «gentleman farmer » de marbre.
D’un point de vue objectif et non partisan, on peut arguer que rien n’oblige l’ancien président de la République à s’exprimer urbi et orbi. En dix-huit ans d’un exercice laborieux du pouvoir suprême, il a appris à connaître le caractère versatile de l’opinion kinoise. A titre d’illustration, l’ancien couple présidentiel n’a pas été aperçu à Kinshasa-Ndolo lors de la visite du pape François début février 2023, en dépit de la dévotion catholique de l’ex-première dame Olive Lembe Kabila.
Se présentera ? Ne se présentera pas ?
Et pourtant. L’homme à la barbe poivre et sel est, malgré lui, au centre d’interminables débats entre ceux qui lui dénient la possibilité de se présenter à la présidentielle de décembre 2023, et ceux qui soutiennent que sa qualité de « sénateur à vie » ne l’exonère pas de son droit « légitime » à briguer la magistrature suprême.
Il n’en reste pas moins que pousser à tout prix Joseph Kabila à sortir de son silence légendaire ne fera certainement le bonheur d’un grand nombre dans certains milieux politiques. On ne réveille pas le chat qui dort. Et pour cause. Il a été l’homme-orchestre des «petits arrangements à l’africaine» qui ont porté Félix Tshisekedi au pouvoir, selon les termes de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian; de même qu’il ne démentirait sans doute pas Emmanuel Macron qui, en pleine conférence de presse conjointe avec le président congolais, n’avait pas mis des gants pour affirmer qu’ils (les Français) étaient au courant du contexte des élections de 2018.
Guerre du M23 et exploitation des ressources naturelles
Dans le contexte de la guerre contre le M23 soutenu ouvertement par le Rwanda, s’il était amené malgré tout à s’exprimer, il rappellerait que ce mouvement né sur les cendres du RCD/Goma et du CNDP a été vaincu en 2013 par les seules FARDC, quoiqu’avec un appui logistique de la Monusco.
Pour avoir contraint le M23 réfugié en Ouganda et au Rwanda à conclure les accords de Nairobi, il est de ceux qui maîtrisent les tenants et les aboutissants de ces textes et surtout, de leurs avenants secrets sur lesquels s’appuie ce mouvement et qui seraient mis à l’avant-plan lors d’éventuelles négociations avec Kinshasa.
Au plan économique, et alors que le Chef de l’Etat est annoncé en Chine dans la deuxième quinzaine de mois de mai prochain, comment ne pas mettre ce voyage sur la controverse autour de la révisitation des conventions passées entre le gouvernement Kabila (les fameux contrats chinois) et les investisseurs chinois en 2015, aux termes desquelles le Chinois s’engageaient à ériger des infrastructures contre l’exploitation des gisements miniers à hauteur de neuf (9) milliards de dollars US, un investissement réduit à six (6) milliards USD sous la pression des institutions de Bretton Woods.
Kinshasa estimant que les gains engrangés par les sociétés chinoises ne sont pas en adéquation avec les quelques infrastructures réalisées, le moment est venu de revoir les termes des accords, un point de vue fortement contesté par Beijing, l’ombre de Kabila continue à planer sur des relations sino-congolaises, avec la poussée en sous-mains des multinationales occidentales.
Si un jour le gouvernement congolais avait la présence d’esprit de faire appel à l’expérience du «sénateur à vie » Joseph Kabila, nul doute que les dossiers de la sulfureuse constellation des sociétés de l’Israélien Dan Gertler ou de la descente aux enfers du géant minier, la Gécamines, prise à la gorge par des joint-ventures qui la presse comme un citron connaîtraient un dénouement rapide et avantageux.
Sauf que, justement, il est peu probable que l’ancien chef de l’Etat consente à sortir de son mutisme.
M.M.F.