«Loi Tshiani » : Human Rights Watch s’oppose à une proposition «discriminatoire » aux conséquences imprévisibles

Human Rights Watch (HRW) fait son opposition à la proposition de loi, dite Tshiani, qui, selon cette ONG de défense des droits de l’Homme, « interdirait à certains candidats de se présenter aux élections en raison de l’origine de leurs parents ». HRW ne cache pas ses inquiétudes et estime qu’ « en plus d’être discriminatoire, l’adoption de cette loi pourrait présager une nouvelle vague de répression et de violences ».
Le Parlement de la République Démocratique du Congo devrait rejeter une proposition de loi que les autorités pourraient utiliser pour exercer une discrimination contre certains citoyens congolais en raison de l’origine nationale de leurs parents, a déclaré mardi Human Rights Watch (HRW).
Cette loi empêcherait tout Congolais dont l’un des parents n’est pas d’origine congolaise d’accéder à la fonction présidentielle et aux postes à responsabilités au sein des institutions. L’examen de cette proposition de loi au cours d’une année électorale renforce les craintes que les autorités ne l’utilisent pour empêcher certaines personnes de se présenter aux élections, en violation des protections juridiques internationales relatives à la participation démocratique et à la non-discrimination. Le projet, connu sous le nom de proposition de loi Tshiani ou loi sur la «congolité », a été présenté pour la première fois en 2021, mais a été retiré après avoir suscité de nombreuses objections. Elle est désormais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement congolais, qui pourrait en débattre au cours de son actuelle session ordinaire de trois mois, qui a débuté à la mi-mars 2023.

Une arme d’exclusion politique, soupçonne HRW
«Les autorités congolaises pourraient facilement se servir de la loi Tshiani, si elle était adoptée, pour empêcher illégalement des citoyens congolais d’être candidats à des fonctions politiques », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe à la division Afrique à Human Rights Watch. «En plus d’être discriminatoire, l’adoption de cette loi pourrait présager une nouvelle vague de répression et de violences ».
La proposition de loi est largement perçue comme une tentative d’écarter Moïse Katumbi, qui dirige le parti d’opposition Ensemble pour la République et est considéré comme l’un des adversaires potentiels du président Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle qui doit avoir lieu en décembre 2023. Katumbi, homme politique et homme d’affaires congolais, et ancien gouverneur de la province du Katanga dont le père est grec, a annoncé en 2022 sa candidature à la présidence.
En 2016, le ministre congolais de la Justice a ouvert une enquête visiblement motivée par des considérations politiques à l’encontre de Moïse Katumbi. En 2018, le gouvernement du président de l’époque, Joseph Kabila, a interdit à Katumbi de rentrer au pays pour enregistrer sa candidature, le privant ainsi de son droit à se présenter à l’élection présidentielle. Il est revenu en 2019 après que les tribunaux ont annulé sa condamnation, dans le cadre des mesures de confiance prises par Tshisekedi pour réduire les tensions politiques.
Un certain nombre de diplomates étrangers, de responsables des Nations Unies, d’organisations congolaises et de personnalités se sont exprimés contre cette proposition de loi. Des manifestations pour s’y opposer ont également eu lieu dans tout le pays, notamment dans les provinces orientales du Nord-Kivu, de l’Ituri et du Katanga, et dans les provinces occidentales du Kongo Central, ainsi qu’à Kinshasa, la capitale.
Dans une déclaration du 5 avril, La Voix des Sans Voix (une ONG de défense des droits de l’homme, ndlr) a déclaré que cette proposition de loi serait utilisée pour exclure certaines personnes de la compétition politique et que le Parlement devrait la rejeter pour «éviter des tensions politiques susceptibles d’occasionner des violations des droits humains».
L’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice a, quant à elle, déclaré que la loi «risque de générer des frustrations et d’éventuelles violences ».
Dans son message de Pâques du 8 avril 2023, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, a déclaré qu’ «un projet de loi sur la congolité, à la veille des élections, nous divise davantage qu’elle ne nous unit. Nous avons un urgent besoin des gestes et des lois qui rapprochent, plus que des actes et des dispositions qui nous dressent les uns contre les autres ».
Une délégation d’ambassadeurs de pays membres de l’Union européenne a rencontré le président de l’Assemblée nationale pour lui faire part de ses préoccupations concernant cette proposition de loi.
Dans son discours au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars, la cheffe de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo, Bintou Keita, a exprimé son inquiétude face à «la montée dans le discours politique de messages à relents xénophobes et racistes qui constituent un danger pour la cohésion nationale, la paix et la sécurité». Elle a appelé à la mise en place d’un processus électoral inclusif et a déclaré qu’aucun Congolais ne devrait être exclu du fait de son origine, de celle de ses parents ou de son conjoint.

Deux ministres sur la sellette
En janvier, deux ministres du gouvernement ont prononcé, dans une vidéo apparemment liée à une mobilisation politique, des discours qui jouaient sur les préjugés reflétés dans la proposition de loi. Dans un clip devenu viral sur les réseaux sociaux, le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, a déclaré que les Congolais ne devraient pas voter pour un candidat de père et mère inconnus, qualifiant Katumbi de «chauve-souris ».
Le ministre du commerce extérieur, Jean-Lucien Bussa, a déclaré que toute personne née d’un père étranger devait être considérée comme «l’ennemi des Congolais ». Félix Tshisekedi a condamné la déclaration de Bussa, mais n’a pas encore commenté publiquement la proposition de loi sur la nationalité depuis sa réintroduction au calendrier de l’assemblée nationale.
Compte tenu de la douloureuse histoire coloniale de la RD Congo et du cycle d’abus et de conflits internes qui y ont eu lieu, de telles déclarations de la part de représentants du gouvernement contribuent à créer une atmosphère qui encourage la discrimination institutionnelle. Les représentants du gouvernement ont le devoir de s’abstenir de tout discours prônant la violence, la discrimination ou l’hostilité à l’égard d’un individu ou d’un groupe social, en particulier si ce discours est utilisé pour mettre en œuvre une politique officielle de nature discriminatoire, a déclaré Human Rights Watch.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, traités auxquels le Congo est partie, garantissent à chacun une protection égale et effective contre toute discrimination fondée sur l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique ou toute autre situation. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que «[t]out citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations … et sans restrictions déraisonnables : … de prendre part à la direction des affaires publiques … et d’être élu au cours d’élections périodiques et honnêtes ».
«Chaque citoyen congolais devrait pouvoir se présenter aux élections sans discrimination ni crainte d’intimidation sur la base de son appartenance ethnique ou de la nationalité de ses parents », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. «Les autorités congolaises devraient prendre au sérieux leur engagement en faveur de la démocratie et des droits humains et, comme elles l’ont fait en 2021, rejeter toute notion d’exclusion de l’identité congolaise ».
Avec hrw.org

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