George Forrest sur Tshisekedi : «Il est de bonne volonté. Mais le pays n’est pas si simple que ça à gouverner»

Depuis 50 ans, le mania belgo-congolais George Forrest trône sur le monde congolais des affaires. Il était à la tête d’un empire industriel dans le Grand Katanga, mais il ne parlait pas. Aujourd’hui, il vient de publier ses mémoires sous le titre «Un siècle de rêves» (éditions Cherche Midi). Et il fait des révélations, notamment sur tous les chefs d’État congolais qu’il a fréquentés, de Mobutu à Tshisekedi. A propos du Président Tshisekedi, George Forrest lui trouve une excuse sur les tâtonnements de ces premiers de son quinquennat. «Le président Tshisekedi a hérité d’un pays qui n’est pas simple à gérer (…)Et lui-même veut faire quelque chose, il est de bonne volonté. Mais le pays n’est pas si simple que ça à gouverner. Il faut lui laisser un peu le temps pour qu’il puisse réaliser son programme et voir ce qui va se passer après». Dans tous les cas, pour lui et tous les Forrest, on ne mélange pas la politique aux affaires.
RFI : George Forrest, il y a 101 ans, votre père a créé au Katanga la société Forrest. Et aujourd’hui, vous êtes toujours présent à Lubumbashi. Avec plus de 10.000 salariés, vous êtes toujours l’un des premiers employeurs du Congo. Comment avez-vous fait pour résister à tous les chaos, tous les soubresauts de la vie congolaise ?
D’abord, il y a notre qualité de travail, c’est une réputation que nous avons, que les choses que nous faisons sont impeccables. Nous avons aussi un rôle d’engagement social. Mes parents ont toujours dit que, quand un pays vous apporte quelque chose, il faut redistribuer une partie à la population, ce que nous avons toujours fait. Nous avons créé des écoles, des centres hospitaliers. Nous avons le meilleur hôpital du Haut-Katanga. Nous avons des puits d’eau dans les villages. Et nos activités ont toujours été des activités de qualité dans le respect de l’éthique et du pouvoir en place.

Vous racontez dans votre livre « Un siècle de rêves » aux éditions du Cherche Midi que votre père et vous avaient eu de nombreuses amitiés dans la classe politique congolaise. Comment avez-vous fait pour être ami à la fois avec Justin-Marie Bomboko, qui était votre témoin de mariage et qui était donc l’un des hommes forts à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, et en même temps avec le sécessionniste katangais Moïse Tshombé par exemple ?
L’amitié est une chose et la politique en est une autre. Nous sommes des hommes d’affaires. Nous connaissons tout le monde, mais nous ne faisons pas de politique. On ne parlait pas politique à la maison, c’était une règle.

Vous dites aussi que vous avez bien connu Mobutu Sese Seko, évidemment, mais aussi Étienne Tshi-sekedi, l’un de ses plus farouches adversaires. Mobutu ne vous reprochait pas de recevoir Tshisekedi à la maison ?
Mobutu ne me l’a jamais reproché. Pour être honnête, non. Du moment qu’on lui disait les choses franchement, lui dire les choses comme elles étaient, ça, il aimait bien. C’était un homme qui aimait bien une certaine franchise. Je n’ai jamais eu de problème. Il savait bien qu’on ne faisait pas de politique. Nous, on développait nos activités et lui, ce qui l’intéressait, c’est que nous créions de l’emploi et que nous développions nos activités.

Dans ses premières années de pouvoir, vous dites que Joseph Kabila était un bon président, mais qu’ensuite, à cause de son entourage notamment, la corruption a gangréné tout le régime. Était-ce impossible à la fin de faire des affaires sous le régime de Joseph Kabila ?
Cela devenait très compliqué effectivement. Les cinq premières années, comme je l’ai dit, étaient très bien. Il a géré le pays très correctement. Mais une fois qu’il a été réélu, avec ses entourages très proches de lui, ils ont commencé à mettre la corruption en place. Ça a été vraiment un fléau terrible parce qu’ils voulaient tout prendre, ils voulaient s’accaparer toutes les affaires. Personnellement, nous avons beaucoup souffert de cette période.

Et aujourd’hui, sous la gouvernance de Félix Tshisekedi ?
Le président Tshisekedi a hérité d’un pays qui n’est pas simple à gérer. Quand il a pris le pouvoir, il a d’abord dû se stabiliser, voir ce qui se passait. Et malheureusement, il avait aussi un entourage qui n’était pas très bien. Mais aujourd’hui, il en a quand même écarté pas mal. Il en a écarté quelques-uns. Et lui-même veut faire quelque chose, il est de bonne volonté. Mais le pays n’est pas si simple que ça à gouverner. Il faut lui laisser un peu le temps pour qu’il puisse réaliser son programme et voir ce qui va se passer après.

Vous dites dans votre livre que vous avez été écarté du secteur minier du Katanga à l’instigation notamment du milliardaire israélien Dan Gertler. Or justement, Dan Gertler est défendu aujourd’hui par les autorités congolaises qui plaident la levée des sanctions américaines contre lui. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je pense que ça, c’est une question politique. C’était pour récupérer le maximum pour qu’il cède une partie de ce qu’il avait pris, les placements frauduleux, avec la corruption. Mais si c’est dans l’intérêt de récupérer le maximum de biens pour le pays, on peut dire OK.

Il y a actuellement sur le bureau de l’Assemblée nationale à Kinshasa un projet de loi qui vise à écarter de la future présidentielle tout candidat qui n’est pas de père et de mère congolais. Qu’en pensez-vous ?
C’est un dialogue qui appartient aux Congolais et c’est à eux à en débattre. Je ne vais pas me mêler de cette affaire.

Ce projet de loi vise à écarter de la présidentielle quelqu’un que vous connaissez bien, c’est Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga. C’est un de vos amis. Votre fils aîné est même le vice-président du club de football Tout Puissant Mazembe, que préside justement Moïse Katumbi. Que pensez-vous de cette manœuvre pour écarter Moïse Katumbi ?
Pour parler de Mazembe, c’est une vieille histoire de famille. Mon père était déjà là. Nous, on était là quand Moïse Katumbi a repris le club. Quand il a repris et développé très fort le club, on est resté. C’était un autre fils à moi qui était avant vice-président. Il est parti et j’ai mis Malta comme vice-président. Mais ça fait partie de l’histoire. Ce n’est pas une question politique, ni un soutien politique. C’est purement de l’histoire. Maintenant, si cela créé des problèmes pour tout le monde, c’est un fait certain qu’il prendra ses responsabilités. Et s’il doit quitter le poste…

Oui, s’il le faut, votre fils aîné Malta quittera son poste…
Oui. Les affaires restent les affaires. Si on mélange le football avec la politique, si on mélange le sport avec la politique, nous on ne veut pas faire de la politique, forcément, il devra se retirer.

Mais Moïse Katumbi, c’est un ami ou pas ?
C’est un ami. Mais ce n’est pas parce que c’est un ami que… L’amitié est une chose et la politique est une autre chose.
Avec RFI

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