Annoncé il y a plus de deux mois déjà, le réaménagement du Gouvernement (ou son remaniement) est effectif depuis la soirée de jeudi 23 mars. Sans grande illusion, les observateurs ne s’attendaient certes pas à assister à de grands bouleversements, ni à des départs de tenants de ministères animés par les plus radicaux des soutiens du chef de l’Etat. Mis à part la mise à l’écart du ministre de l’Intérieur remplacé par un proche de Félix Tshisekedi (Peter Kazadi) ou la permutation de l’ancien ministre de la Défense, l’essentiel des portefeuilles ministériels n’ont pas connu le tsunami annoncé, à l’instar des départements de la Justice, des Finances, de la Fonction publique, des Mines, des Affaires foncières ou des Travaux publics et Infrastructures qui restent aux mains des hérauts d’un tshisekedisme pur et dur. Mais la surprise est venue de la nomination simultanée de Jean-Pierre Bemba à la Défense, de Vital Kamerhe à l’Economie nationale et d’Antipas Mbusa Nyamwisi à l’Intégration régionale. Une entrée tonitruante au gouvernement au moment où le pays est engagé dans la ligne droite conduisant à l’organisation (sur le papier) d’élections générales en décembre 2023, et qu’il fait face au bourbier de la crise dans l’Est de la RDC qui prend des allures inextricables de nœud gordien.
Le secret a été bien gardé. Aucune fuite, aucune information en forme de ballon d’essai larguée pour jauger la température de l’opinion nationale. Quoiqu’annoncé officiellement par le Président de la République en personne lors de la réunion du Conseil des ministres du 13 janvier 2023, le remaniement du Gouvernement finissait par ne plus faire l’objet de conversations dans les salons politiques. Certains avaient tenté de justifier le retard dans la publication de la nouvelle équipe gouvernementale par les préparatifs de la visite du pape François fin janvier-début février, suivie moins d’un mois plus tard par la visite controversée du président français Emmanuel Macron.
C’est chose faite depuis cette longue soirée de jeudi 23 mars. La surprise n’est pas venue dans la mise à l’écart du ministre des Sports dont le départ était réclamé de longue date, ni de celle de l’ombrageux Daniel Aselo qui n’aura pas réussi à endiguer la vague de la criminalité urbaine, encore moins du sulfureux docteur Mbungani au ministère de la Santé.
Une triple surprise
La surprise, et elle est de taille, résulte de l’entrée au gouvernement Sama II de Jean-Pierre Bemba (MLC), de Vital Kamerhe (UNC) et d’Antipas Mbusa Nyamwiwi (RCD/K-ML). Tous les trois vice-premiers ministres en charge respectivement de la Défense, de l’Economie et de l’Intégration régionale. Chacun d’eux affichant, du reste, un parcours pour le moins atypique.
La réalité restant qu’en faisant entrer au Gouvernement ces trois personnalités, Félix Tshisekedi élargit son assise électorale, tout en étouffant dans l’œuf les probables ambitions de briguer la présidence qu’auraient pu nourrir les uns et les autres. Ce faisant, il s’assure un maillage territorial que lui apportent ses alliés.
Leader du Mouvement de libération du Congo, de l’ancienne rébellion soutenue par l’Ouganda et reconvertie en parti politique au terme du Dialogue inter congolais de Sun City (2002-2003), et devenu l’un quatre des vice-présidents de la République sous le régime 1+4, Jean-Pierre Bemba a vu sa carrière politique interrompue par son incarcération et sa condamnation à 30 de prison par la Cour pénale internationale de La Haye où il passera dix ans avant sa libération-surprise en 2018.
Proche jadis du maréchal Mobutu et reconnu homme de poigne, Bemba jouit d’une certaine considération de la part d’anciens officiers généraux et supérieurs des Forces armées zaïroises (FAZ). Sa connaissance des questions militaires et des opérations de mixage et intégration des membres des groupes rebelles dans les forces armées sera sans conteste d’un apport irréfutable. Il se prévaut d’une popularité certaine dans la province de l’Equateur.
Cependant, le passage de ses troupes en Ituri où ses hommes ont été accusés de cannibalisme dans le territoire de Mambassa a laissé une tache indélébile qu’il sera difficile d’effacer.
Vital Kamerhe justifie de même d’une longue carrière politique digne d’éloges. Ancien président de l’Assemblée nationale avant la brouille avec l’ancien président Joseph Kabila. Passé à l’opposition, il sera l’un des ténors de l’Accord de Genève qui devait désigner un candidat unique de l’opposition aux élections de 2018.
En retirant sa signature de commun accord avec Tshisekedi et la signature et la conclusion de l’accord électoral de Nairobi, il sera soutien majeur dans l’élection de Félix Tshisekedi à la magistrature suprême dont il devient directeur du cabinet, avant d’être poursuivi pour le détournement de fonds dans le cadre du Programme présidentiel dit des «100 Jours » de construction des infrastructures.
Condamné en 2020 à 20 ans de prison, réduits à 13 ans en appel, il sera acquitté à la surprise générale «pour faute de preuves». Une décision de justice unanimement controversée dans l’opinion. Il jouit, dit-on, d’une certaine popularité dans son fief du Sud-Kivu.
Enfin, Mbusa Nyamwisi, à la tête d’une dissidence du RCD/Goma (le RCD/K-ML) jusqu’aux assises de Sun City à l’issue desquelles son mouvement rebelle est mué en parti politique, à l’instar du MLC, il est membre du gouvernement à l’Intégration régionale sous le premier ministre Gizenga. Resté discret depuis sa retraite en Afrique du Sud, sa réapparition n’est qu’une demi-surprise. A travers des canaux confidentiels, il a toujours communiqué au Chef de l’Etat sa stratégie en vue d’un rétablissement de la paix dans Nord-Kivu dont il est originaire.
D’immenses défis
Le gouvernement Sama II prend ses fonctions au moment où la crise sécuritaire dans le Nord-Kivu et l’Ituri ne semble pas baisser en intensité. Le M23 et ses soutiens rwandais amplifient leur mainmise sur une partie des territoires de Rutshuru, de Masisi et de Nyiragongo, et que la Force régionale de l’EAC fait prévaloir son mandat « non offensif ».
Sur le plan économique, le franc congolais connaît une dépréciation lente mais régulière face à la devise de référence (le dollar américain), entraînant une hausse généralisée des prix des biens et services. Tandis qu’un remous social est observé dans les services étatiques.
Le dernier défi, sans doute la raison du réaménagement du gouvernement, reste l’organisation des élections du 20 décembre 2023. Ici aussi, une incompréhension aigue oppose le président de la Centrale électorale et le ministre des Finances autour d’un plan de décaissement réaliste des fonds destinés au financement des opérations électorales.
Pour conclure, la présence au Gouvernement de personnalités ayant encouru des peines de prison ne manquera pas de soulever des aspects éthiques dans le chef des «partenaires» extérieurs dont les institutions de Bretton Woods.
Econews