Le long silence de Joseph Kabila a plongé le FCC (Front commun pour le Congo) dans l’incertitude. Si certains continuent encore – on ne sait pour combien de temps encore – à clamer leur loyauté à l’ancien président de la République, nombreux voient leur avenir politique en noir et réfléchissent déjà pour trouver une nouvelle place au soleil autour de l’Union sacrée de la nation du Président Félix Tshisekedi. La première vague de départs est survenue, fin 2021, avec l’avènement de l’USN. Deux ans après, d’autres ont rejoint cette dynamique. Le plus récent est le départ en fanfare d’André-Alain Atundu qui a décidé de faire allégeance à Félix Tshisekedi. Et il n’est pas le dernier. Avec un Kabila de plus en plus aphone, le temps à la transhumance au sein du FCC a sonné.
C’est vraisemblablement un scénario que le président honoraire Joseph Kabila voulait jouer lorsqu’il procédait le 24 janvier 2019 à la remise et reprise avec son prédécesseur, Félix Tshisekedi. Rassuré de jouer toujours le premier rôle dans le cadre de la coalition FCC –CACH, Joseph Kabila était encore sûrement convaincu de continuer à peser sur le paysage politique. Moins de deux ans après, les choses sont finalement en sa défaveur. Depuis lors, tout s’est précipité.
Petit rappel des faits.
Novembre 2021, dans un message à la nation d’environ 6 minutes, le président Tshisekedi annonçait fermement son désir de reconsidérer ses rapports avec le FCC de Joseph Kabila. C’était le débit d’une rupture qui allait se consacrer avec l’avènement de l’Union sacrée de la nation. Mais, pour consolider son emprise sur la nouvelle carte politique de la République Démocratique du Congo, Tshisekedi devait gagner la grande bataille du Parlement pour inverser les rapports des forces.
Par une manœuvre politique de haute facture, Tshisekedi a donc réussi à faire émerger au sein des deux chambres du Parlement une nouvelle majorité, battant pavillon USN (Union sacrée de la nation). La mise en place du Gouvernement Sama Lukonde a fini par clore le débat. Le déboulonnage a livré son verdict.
Quant au FCC de Joseph Kabila, c’était la panique générale. Le FCC a commencé à se fissurer, illustration saisissante de la vacuité idéologique de cette coalition. Les ralliements de « kabilistes » par partis entiers à la nouvelle coalition lancée par le président Félix Tshisekedi a ouvert les vannes d’une désintégration du FCC qui se poursuit inexorablement.
Si aux premières heures de l’USN, certains bonzes du FCC ont résisté à la tempête USN, le real politik a fait le reste.
Qui pouvait donc imaginer qu’Evariste Boshab (ex-président de l’Assemblée nationale de 2009 à 2012 et ex-ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de 2014 à 2016) ou encore Adolphe Lumanu (ex-ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de 2010 à 2011) se détourneront finalement de Kabila ? Depuis quelque temps, ces deux grands ex-caciques du FCC ne jurent que par Félix Tshisekedi qu’ils jurent d’ailleurs d’accompagner à la victoire présidentielle du 20 décembre 2023.
Lambert Mende, tout bouillant porte-parole du Gouvernement sous Kabila, Norbert Basengezi Katintima, 1er vice-président de le CENI dans le bureau Nangaa sur le quota du FCC, Léonard She Okitundu, plusieurs fois ministre des Affaires étrangères de Kabila, après avoir coordonné son cabinet à la Présidence de la République, et bien d’autres ont constitué la deuxième vague de ceux qui ont rejoint l’USN, après la première vague de novembre 2021.
Cerise sur le gâteau, c’est à coup de publicité qu’André-Alain Atundu, denier porte-parole du FCC, a annoncé, lundi à Kinshasa, son ralliement à l’USN.
Pour justifier son choix, Atundu n’est pas allé par le dos de la cuillère, justifiant sa décision par le fait, dit-il, que «l’évolution de l’Etat détermine le comportement de l’homme politique en fonction des dispositions constitutionnelles de gouvernance et de sa perception individuelle de l’intérêt majeur et structurel des populations». Avant de consacrer sa traversée : «Puisque le développement du pays et l’épanouissement des populations sont conditionnés par la paix, nous allons résolument œuvrer sous l’éminente direction du Chef de l’Etat, pour l’effectivité de son leadership par la conquête de nos territoires occupés par les agresseurs».
Que s’est-il donc passé au sein du FCC pour qu’on arrive à une telle déconfiture ?
Une chose est vraie : le FCC est confronté à une crise aigüe. C’est sa survie qui est en danger.
Ce scenario était-il prévisible quatre ans le départ de Joseph Kabila ? Pas évident.
On se rappelle que, peu avant la fin de son règne de 18 ans, Joseph Kabila avait juré de ne pas mener ses fidèles à un « suicide collectif ». On se rend compte qu’il s’était trompé sur toute la ligne. Car, quatre après, le FCC n’est plus que l’ombre de lui-même. Il est en plein décrochage, avec une forte probabilité de désintégration.
A qui la faute ?
En interne, on n’hésite pas à nommer le coupable : Kabila.
Gardant son anonymat, un cadre du FCC a lâché : «Savez-vous pourquoi il y a tous ces départs vers l’Union Sacrée ? C’est justement parce qu’il n’y a aucune lisibilité de notre avenir politique commun dans notre camp. On ne sait pas la suite des événements et le silence continuel (Ndlr : de Joseph Kabila) inquiète ».
Après son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila se pensait en sécurité, à l’abri d’une brutale inversion des rapports des forces. Il s’est trompé sur toute la ligne, au point de se retrouver marginalisé, commandant d’un navire FCC qui prend l’eau de toutes parts, obligeant ceux qui croyaient encore à sa rebondir d’abandonner l’embarcation.
Le FCC vit en tout cas une crise inédite. C’est sa survie, en tant que famille politique, qui est en jeu. Les remparts qui protégeaient ce qui restait encore du FCC sont en train de céder à la pression de l’Union sacrée de la nation. En cela s’ajoute le long silence de Joseph Kabila qui alimente le suspens, obligeant les plus indécis à prendre les larges – même s’il faut rejoindre à la nage le bateau USN.
A huit mois des élections générales de décembre 2023, le ciel s’assombrit inexorablement pour le FCC. La météo politique annonce un grand tsunami qui va totalement balayer ses rivages. A moins que Kabila décide, enfin, de se lancer dans l’arène pour non seulement colmater les brèches mais surtout sauver une barque sans gouvernail. Sinon, c’est le «suicide collectif » tant redouté qui sera au rendez-vous.
Econews